Une réticence par rapport à la vie communautaire est liée au désir de conserver une certaine liberté…
Il ne suffit pas de déclarer une communauté " libertaire " pour
que les gens y soient libres. Certes, dans une communauté hiérarchique,
certains vont être éventuellement forcés de suivre les instructions de la
hiérarchie. Mais même dans une communauté non hiérarchique, il y a gêne
mutuelle lorsqu'on ne veut pas la même chose.
Et la communauté ça commence à deux. Il n'y a qu'une télé. L'un veut
écouter en direct la première chaîne, l'autre la seconde... on fait quoi ?
Il n'y a qu'une pièce et pas de casque : l'un veut écouter de la musique,
l'autre pas. On fait quoi ? L'argent est limité et commun ; l'un veut acheter
tel produit, l'autre tel autre ; on fait quoi ? L'un veut dépenser plus pour
quelque chose de plus agréable, l'autre moins pour économiser ; on fait quoi
?
Quelle solution adopter ? Que ce soit alternativement le choix de l'un puis
de l'autre qui l'emporte (une sorte de hiérarchie alternée, en quelque
sorte) ? Que l'on trouve une solution de compromis à chaque fois ?
Dans tous les cas, il y a une concession, plus ou moins équitablement
répartie entre les protagonistes. A priori, la communauté de vie signifie
gêne mutuelle, réduction de la liberté de chacun.
La solution pour une réelle liberté en communauté serait que l'on soit
spontanément d'accord pour tout. Bref, une communauté de clones ! Ce serait
peut-être un peu monotone…
Il est clair qu'envisager une communauté de vie sans que cela ne se
traduise par le moindre effort, la moindre contrainte supplémentaire par
rapport à la vie en solitaire est illusoire, naïf.
Faut-il pour autant ne jurer que par l'individualisme, abandonner l'idée de
communauté ?
Ce serait simplifier quelque peu les données du problème.
Tout d'abord, une liberté absolue est impossible, illusoire, quel que soit le
mode de vie…
Ensuite, la communauté a ses avantages, elle permet de faire plus de choses,
ce qui contribue à augmenter notre liberté : elle permet à chacun de
bénéficier de plus de biens à moindre coût, d'être plus performants
grâce à l'entraide, la complémentarité des talents et aptitudes. A
plusieurs, on pense à plus de choses, en partageant les mêmes intérêts
matériels, on évite un certain nombre de conflits.
La communauté ayant des avantages, il importe, comme en tout, de peser le
pour et le contre…
De plus, afin de dégager le mode de vie optimum, on peut réfléchir aux conditions pour qu'une communauté de vie réduise le moins possible la liberté de chacun. Certes, ma liberté s'arrête souvent là où commence celle de mon voisin, mais il y a moyen de limiter ce désagrément.
Pour réduire la gêne mutuelle intracommunautaire, on peut intervenir sur
:
1- les conditions matérielles :
Par exemple : plus d'espace pour chacun, plus d'insonorisation, plus de biens
d'équipement (pour limiter la concurrence correspondant à un désir
d'utilisation au même moment ; reste que le partage d'un même bien est une
source d'économies et, en cela, un avantage de la communauté…)
2- l'organisation :
Par exemple : ranger systématiquement chaque chose à une même place (utile
seul, encore plus en communauté !), respecter des horaires précis pour
certaines activités, se répartir les tâches, prévoir des tableaux
d'utilisation pour les biens partagés etc. (ces contraintes légères étant
censées éviter des désagréments plus importants).
3- la communication :
Informer les autres de tout ce qui peut leur être utile, prendre le temps de
faire des bilans, des partages, de prendre des décisions… ensemble,
discuter pour se mettre d'accord, communiquer d'une façon efficace et
non-violente…
4- la communauté de goûts, d'activités, d'objectifs des compagnons :
Les fêtards entre eux, les adeptes du silence entre eux; mais aussi ceux d'un même courant artistique,
d'un même régime alimentaire, d'une même cause ou religion…
5- la pratique d'une éthique personnelle favorable à une vie communautaire
agréable :
La plupart des " vertus " : la patience, le courage, l'honnêteté…
Et plus particulièrement, l'attention aux autres, l'ouverture au dialogue, le
détachement par rapport à des besoins pouvant être sources de désagrément
pour autrui, le dévouement au service de la communauté.
La liberté au sein d'une communauté est donc très variable. Elle dépend
fortement du comportement des autres… et du sien.
Intervenir sur la communauté de goûts ou d'activités conduit à une
certaine ségrégation. A la limite, si on exige que tous les goûts et
activités soient identiques, on se retrouve seul.
D'où l'intérêt d'une éthique consensuelle. Une éthique peut être consensuelle soit parce qu'elle est le produit du conformisme soit parce qu'elle possède une véritable cohérence interne. Le deuxième cas correspond à un consensus moins immédiat mais potentiellement plus large. Concrètement, une telle éthique peut se traduire de la façon suivante : au lieu de partir d'aspirations personnelles précises et variées, se référer à des principes et objectifs généraux dont découleraient les diverses aspirations. Sur cette base, une "liberté ensemble" devient possible avec un plus grand nombre de personnes.
Par exemple : L'humanisme : agir dans le sens du mieux-être des êtres
humains en général.
Cela entraîne :
-La participation à un moins de souffrance dans le monde,
Soutien à des causes pacifistes, humanitaires, à la non-violence…
-Le soutien au mouvement communautaire (car c'est un mode de vie moins
générateur de souffrances parce que moins compétitif, plus satisfaisant
humainement)
Donc, en particulier :
-La contribution au bon fonctionnement de sa communauté,
-La collaboration avec les autres communautés humanistes
-Un soin porté à l'éducation (pour la pérennité du mouvement)
-Un soin porté à son développement personnel en particulier dans le sens
des qualités favorables à une communauté heureuse.
-l'écologisme : une action dans le sens du respect du milieu naturel (par
solidarité pour les générations futures).
Donc soutien à la cause de l'écologie, mais aussi, pour réduire l'emprunte écologique :
-communauté économe : faible consommation matérielle
-communauté à tendance végétarienne,
-communauté à tendance autarcique : production sur place (réduction de la
pollution par les transports)
-Le souci de sa santé (car mon corps est un outil incontournable pour ma
mission humaniste), et de celle des autres (par amour) :
Donc, en particulier,
- communauté non-fumeurs, non-alcoolique (aide aux anciens dépendants) etc.
- communauté de vie saine : exercice physique, alimentation saine,
environnement sain etc.
Ces différents sous-objectifs ne manquant pas d'être cohérents les uns
avec les autres… Par exemple, le développement personnel est favorable à
la santé, l'abstinence de drogues favorable à l'environnement et à la paix,
etc.
Telle est l'approche " amopienne "…
Un objectif simple et humainement naturel (car fondé sur l'amour et la
compassion) dont découle tout le reste. Une éthique personnelle dont
découle l'entente et la concorde avec un plus grand nombre de personnes voire
une économie différente fondée sur le partage…
Ainsi, pas besoin de règles complexes, …
Le dogmatisme est souvent une source de problèmes.
Par exemple, si on interdit brutalement l'usage de drogues, cela peut induire
de la violence. Une solution de compromis, plus progressive peut être
globalement préférable.
L'interdiction de voler, de tuer etc. peut s'opposer au bien commun dans
certains cas (certes rares). De même l'interdiction de certains aliments.
Le dogmatisme est source de divisions. Il n'est que de voir la multiplicité
des religions et des " cultures ", et les difficultés de
coexistence que cela entraîne. Pourquoi s'encombrer de traditions ou de
métaphysiques comportant inévitablement une part d'arbitraire ?
La voie du cœur (à l'état pur) est plus consensuelle.
Le fait de se référer à une éthique commune est important.
Sur le plan des goûts, des idées de détail à un instant donné, nous
sommes tous différents et n'avons pratiquement aucune chance d'être
d'accords sur tout spontanément. La seule issue est le non-attachement à ses
goûts ou idées spécifiques, le recentrage sur des goûts ou idées
générales (comme dans l'exemple vu plus haut) et la pratique d'un dialogue
efficace pour tomber d'accord sur les choix particuliers de la vie courante.
Cela implique certes une contrainte par rapport à l'état " primitif
" consistant dans l'exigence de satisfaction immédiate de ses désirs
quels qu'ils soient. Mais cette contrainte existe déjà quel que soit le mode
de vie, soit sous la forme d'une condition préalable : si j'ai faim, je suis
d'abord obligé de trouver de la nourriture, de la préparer. Soit sous la
forme d'une sanction a posteriori : si j'ai envie de sauter de la falaise, je
meurs en heurtant le sol. Pareil dans la société monétariste : si je veux
gagner de l'argent je dois bosser, si j'en vole, je risque de me faire
coffrer. La contrainte est partout.
Le meilleur moyen de l'éviter est de ne pas désirer ce qui est source de
souffrance (je peux avoir d'autres envies que de prendre mon envol du haut
d'une falaise, que de gagner beaucoup d'argent…) ou d'accepter le travail
correspondant (au sens de l'assimiler pleinement dans son désir). Ne pas tant
désirer la destination que le chemin. Plutôt que chercher une satisfaction
matérielle, chercher à œuvrer pour quelque chose. Ainsi, plus de
frustration.
Et plutôt que choisir d'œuvrer à être le roi du monde, ou au plaisir d'un
petit nombre de personnes, pourquoi ne pas œuvrer à une société
harmonieuse, démocratique et fraternelle respectant chaque être humain ?
Il se pourrait que le bonheur ne réside pas vraiment dans l'accumulation de plaisirs ou l'élimination de tout inconfort, mais bien plutôt dans la réalisation de nos besoins fondamentaux de sens, de cohérence, d'harmonie avec les autres, à travers l'action et l'engagement…
Revenons sur les situations concrètes évoquées plus haut. Et voyons comment elles seraient résolues dans une Amopie. Il ne s'agit là que de prévisions, les positions réellement adoptées étant bien sûr le résultat du consensus entre les personnes concernées au moment où le problème se pose…
" Il n'y a qu'une télé. L'un veut écouter la première chaîne,
l'autre la seconde... on fait quoi ? "
Un amopien tentera de transcender ses envies immédiates par l'accession à
ses aspirations profondes, et plus précisément ici : l'éthique amopienne…
La télé ne ferait pas partie des loisirs
privilégiés à cause de la dépendance qu'elle implique. Au mieux, les
émissions présentant un intérêt substantiel pour une ou plusieurs
personnes seraient magnétoscopées. Telle est, du moins, la position à
laquelle on peut s'attendre compte-tenu de l'éthique amopienne.
" Il n'y a qu'une pièce et pas de casque : l'un veut écouter de
la musique, l'autre pas ; on fait quoi ? "
Tout comme la télé, une certaine facilité à consommer de la musique fait
partie des caractéristiques de notre société technologique de consommation
contribuant à isoler les personnes et à rendre difficile la vie commune.
Le silence pourra être privilégié (le cas échéant) pour son impact
positif sur la santé (calme) et le rappel à soi (apprendre à être bien
avec soi-même). Des plages musicales pourront être aménagées, et celles
induisant un surcroît de convivialité privilégiées. Bien sûr, autant que
possible, la solution du casque sera envisagée…
" L'argent est limité et commun ; l'un veut acheter tel produit,
l'autre tel autre ; on fait quoi ? "
On évalue ensemble, en passant en revue les informations dont on dispose,
quel est l'achat le plus conforme à l'éthique commune. Cela peut faire appel
à une évaluation quantitative aussi difficile à faire seul qu'à plusieurs…
mais le fait de la faire à plusieurs (échange d'idées et vote) peut
augmenter la qualité du choix (dans le sens de l'éthique commune et donc: de
l'intérêt de chacun).
" L'un veut dépenser plus pour quelque chose de plus agréable,
l'autre moins pour économiser ; on fait quoi ? "
Un accord sur le niveau de plaisir à envisager est souhaitable. Ce niveau
sera typiquement plus faible que dans la société de consommation
inconsciente dans la mesure où le souci d'harmonie avec l'environnement est
pris en compte, dans la mesure où l'éthique proposée rend moins dépendant
du plaisir immédiat.
Cependant, il ne sera pas question d'éliminer ou de discréditer le plaisir…
Il s'agira de trouver un mode de vie raisonnablement acceptable par le plus
grand nombre, sur le long terme… et cela, sur la base de l'expérience.
Si on se rassemble sur la base d'une certaine éthique, clairement
précisée au départ, la vie communautaire ne s'oppose pas au sentiment de
liberté de chacun.
Elle constitue un défi vivifiant, passionnant et combien nécessaire au monde
d'aujourd'hui !
N'hésitez pas à me faire part de vos réactions, suggestions, interrogations, difficultés etc., ainsi que des fautes ou problèmes techniques que vous auriez rencontrés...
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