Longo Maï ("longtemps encore" en occitan) est le fruit de la révolte
de mai 1968 qui a secoué toute l'Europe. Mais l'origine du groupe se trouve en
Suisse et en Autriche où des groupes d'extrême-gauche se battent contre
l'Etat. En Autriche, le groupe "Spartakus" mène la vie dure aux
groupes nazis toujours très actifs, alors qu'en Suisse, le groupe "Hydra7'
mène des actions dans le domaine social. Ce dernier groupe dispose en Suisse
d'une organisation bien structurée et notamment d'un système de collecte
d'argent parfaitement rodé, pour mener ses campagnes. Ces deux groupes de
"personnes libres" sont en confrontation permanente avec les
autorités.
L'arrivée de ces groupes, de langue allemande, en région provençale va être
le fait d'une rencontre avec Roland Perrot, dit "Rémi" dit "le
grand-père", déserteur pendant la guerre d'Algérie, auteur du livre RAS
dont Yves Boisset fera un film. Quand arrive la vague de mai 1968, Rémi anime
un collectif d'éducateurs en région parisienne. Bien que n'étant adhérent à
aucun des groupes actifs de l'époque, il se retrouve responsable du service
d'ordre de la Sorbonne. Après la retombée du mouvement, Rémi se réfugie un
moment avec quelques copains, en Provence, au pied de la montagne de la Lure. Il
y rencontre Giono dont il connaît l'expérience ratée de Contadour, un projet
de commune libre menée par le grand écrivain en 1935.
Poursuivi pour ses activités pendant les manifestations de mai 68, il se
réfugie en Autriche où il sympathisera avec le groupe Spartakus. Le groupe
mène des actions spectaculaires. En 1969, ils interrompent à une cinquantaine
une représentation à l'Opéra de Vienne pour dénoncer la présence du Shah
d'Iran, ils soutiennent un foyer que Caritas ( 1 ) veut fermer et essaient de
développer l'autogestion au sein du groupe. Ils dénoncent le rôle néfaste de
l'Eglise en envahissant la cathédrale de Vienne pendant les cérémonies
Vendredi saint. Ils s'enferment dans une cage du zoo de Vienne pour protester
contre le sort fait aux jeunes dans les maisons de redressement. Ils résistent
quatre jours sur le toit d'une usine menacée par les privatisations. Ils
pénètrent par surprise sur un plateau de télé et interviennent en direct. En
1971, une manifestation contre l'armée, fief des nazis, rassemble plus de 5000
personnes à Vienne. Les groupes nazis attaquent la manif mais le service
d'ordre musclé de Spartakus les met en fuite. Tout cela provoquera de nombreux
procès... Le 14 février 1972, des grenades sont lancées par des néo-nazis
dans les locaux de Spartakus. C'est un miracle s'il n'y a pas de blessés. Le
groupe décide de quitter l'Autriche pour la Suisse où il se réfugie à Bâle
dans le groupe Hydra.
A Bâle, le mouvement étudiant "Organisation progressiste de Bâle"
fait la promotion de la drogue qui doit détruire le système capitaliste. Deux
jeunes viennent de mourir d'overdose. Lors d'une réunion publique de ce groupe,
Rémi, présent dans la salle, repère le dealer qui pousse à ce type de
revendications et lui donne une grande claque. Cela aura une conséquence : la
police suisse va regarder avec plus de sympathie les actions menées par ces
gauchistes. Aujourd'hui, la police suisse est la seule en Europe à laisser
Longo Maï tranquille. Une partie de ces étudiants constitue alors le groupe
Hydra qui mène des actions sociales : occupation d'usines pour dénoncer les
conditions de travail des apprentis, boycott des produits de ces usines, vigiles
devant l'entreprise. Comme Spartakus qu'ils rencontrent, les militants vont
aussi s'intéresser aux maisons pour jeunes délinquants, à l'armée, aux
immigrés et à la xénophobie. Les campagnes de boycott vont permettre au
groupe de se faire connaître rarement à l'extérieur même des frontières et
d'avoir des contacts avec de nombreux autres mouvements qui reprennent leurs
revendications (syndicats, gauche chrétienne, etc...)
En 1972, Hydra soutient les ouvriers en lutte de l'usine de Schirmeck qui
reprennent avec succès l'usine en autogestion. Aujourd'hui, cette usine existe
encore. Cette expérience de reprise d'usine les conduit à prendre contact avec
des avocats, des gestionnaires, des conseils en organisation et donne au groupe
une grande efficacité. Hydra va alors venir en aide de la même manière à de
nombreuses luttes sociales dans toute l'Europe.
Alors que se développent dans toute l'Europe les mouvements terroristes (Baader
en Allemagne, Brigades Rouges en Italie), Hydra et Spartakus proposent une autre
voie l'autogestion, l'organisation "alternative" et l'humour. En 1972,
une réunion se tient pour débattre sur les moyens de renforcer cette
organisation "alternative" contre le système dominant. Rémi, qui se
souvient de ses rencontres avec Giono, propose alors le concept de
"villages pionniers européens" qui puissent servir de lieu de refuge
en cas de crise. Une quarantaine de personnes se disent alors intéressées.
Ils cherchent un lieu pour implanter le premier de ces villages. Les
gouvernements d'Allemagne, Suisse et Autriche font tout pour faire capoter le
projet. Rémi se souvient de ses contacts avec des agriculteurs dans la région
de Giono. Il trouve ainsi un terrain sur la colline Zinzine, sur la commune de
Limans, près de Forcalquier, dans les Alpes de Haute-Provence : 270 hectares
avec une ferme en ruine, Grange-Neuve et un pigeonnier au sommet de la colline.
Le tout est racheté pour 450 000 F grâce à la revente d'un immeuble qu'Hydra
possédait à Bâle et à l'argent mis par chacun.
La première communauté de Longo Maï est ainsi née en 1973 sous la forme d'une société de coopérative ouvrière de production (SCOP). Très vite s'est posée la question de la rémunération des personnes de la communauté : les SCOP sont adaptées à une démarche de partage du pouvoir entre des salariés mais ne permettent pas d'inclure une ouverture aux personnes qui ne travaillent pas dans le groupe. La forme coopérative a été conservée mais avec un statut permettant d'ouvrir les prises de décision à tout le monde. Des distinctions ont été mises en place.
Aujourd'hui, la propriété des lieux est collective sous forme de GFA,
groupement foncier agricole. Les différentes productions et la vente
extérieure ont gardé une forme coopérative, ces productions ayant pour but de
contrôler des filières d'un bout à l'autre pour permettre d'avoir une
certaine rentabilité et limiter les intermédiaires. La filière la plus
développée aujourd'hui est la laine. Une nouvelle filière est développée
autour du commerce des fruits et légumes. Certaines personnes, ayant une
activité très particulière, ont opté pour des statuts d'agriculteurs sous
forme d'EARL, entreprise agricole a responsabilité limitée. Ces statuts ont
évolué depuis les débuts de la communauté, mais se trouvent confrontés à
des obstacles juridiques : la communauté n'existe pas légalement et le
caractère international de Longo Maï pose, en plus, des problèmes
spécifiques : certaines personnes, comme les Suisses, ne peuvent, par exemple
vivre dans la communauté de Limans qu'avec le statut de... touristes !
Ces statuts sont une obligation légale... mais dans la pratique, la communauté
essaie de développer l'autogestion, c'est-à-dire la participation de tous aux
décisions, des délégations de pouvoir limitées dans le temps, une rotation
des responsabilités. A ce jour, il existe 5 coopératives Longo Maï en France,
une en Suisse, une en Autriche et une en Ukraine. L'ensemble des participants -
autour de 200 personnes - se réunissent une fois par an (traditionnellement
entre Noël et le jour de l'An, période d'inactivité pour le monde agricole)
pour déterminer le programme et se partager les tâches entre les différentes
communautés. Par contre, au sein de chaque communauté, les réunions sont
quasi-permanentes, le soir, après un repas collectif.
Il y a toutefois des différences entre le discours et la pratique : les gens
ont tendance à fonctionner par groupes d'affinités et la rotation des tâches
est toute relative : elle est possible, mais elle n'est pas forcément
souhaitée. Ainsi, ce sont souvent les mêmes personnes qui s'intéressent aux
bêtes ou les mêmes qui vont parler au micro de la communauté de Forcalquier,
Radio-Zinzine.
Une personne qui arrive dans le groupe n'a pas de démarche particulière à
faire. Simplement, une présentation rapide des différentes activités lui est
faite et ensuite, elle va, au gré des discussions, faire un tour de toutes les
tâches de la communauté, visiter les différentes communautés, participer à
des actions militantes... La sélection se fait toute seule : soit la personne
arrive à sortir des schémas individualistes de la société et s'intègre dans
le groupe, soit elle repartira très rapidement d'elle-même. Il est très rare
que le groupe ait à discuter de mettre quelqu'un dehors.
La plupart des nouveaux arrivants ne sont pas très politisés : ils savent ce
qu'ils ne veulent pas, ils ont souvent une recherche d'un autre mode de vie
anti-autoritaire... et soit le déclic se produit dans les discussions
politiques de Longo Maï, soit ils continuent leur quête. Les militants politiques
sont souvent plus durs à intégrer car ils arrivent de structures qui bien que
se disant "différentes" utilisent beaucoup les structures
hiérarchiques (ne serait-ce que par la spécialisation des rôles) et ont
souvent des idées bien arrêtées.
Concrètement, ce sont surtout les Français qui repartent, peu habitués à ce
genre de structures relativement informelles où tout est discuté par tout le
monde.
L'un des axes de cette communauté est sa volonté de faire rencontrer des
peuples de différents pays. Cela s'est traduit évidemment par l'arrivée dans
le groupe de personne de nombreux pays et à l'heure actuelle, la communauté de
Longo Maï regroupe des gens de 15 nationalités.
Cet internationalisme à la base ne se reconnaît dans aucune idéologie
politique actuelle, même si les fondateurs de la communauté sont issus de
l'extrême-gauche. Cette volonté de faire de la politique par le bas permet de
choisir de nombreux thèmes d'action et d'avoir le relais de nombreux
groupes sympathisants. Autour des groupes communautaires, on compte en effet un
solide mouvement de soutien qui regroupe plusieurs milliers de personnes dans
toute l'Europe. Ce réseau de soutien est l'une des forces de Longo Maï qui
bénéficie ainsi d'un important soutien financier et qui peut mener des
campagnes avec une efficacité certaine.
L'une des actions qui sert de fil conducteur depuis le début de la communauté
a toujours été la liberté de circulation des individus. Cela a donné des
campagnes contre les politiques visant à réfréner l'immigration. Le Comité européen de défense des réfugiés immigrés, CEDRI, créé au début des
années 1980, a mené des actions contre la politique de fermeture des
frontières observée dans toute l'Europe de l'Ouest. En 1989, avec l'ouverture
de l'Est, le CEDRI apparaît comme trop étroit, il se transforme et devient le
Forum Civique Européen qui offre un lieu de débat et de rencontres entre tous
les militants internationalistes à l'Ouest comme à l'Est. Le Forum Civique
Européen s'est fortement impliqué dans la critique de la politique menée en
ex-Yougoslavie, notamment en proposant l'accueil de tous les déserteurs et en
demandant le vote d'une résolution au Parlement Européen. Ce vote ayant eu
lieu, une pétition a été lancée pour demander qu'elle soit appliquée... ce
qui n'est toujours pas le cas en France.
Le Forum Civique Européen organise chaque année à Longo Maï, au cœur de l'été,
un "Congrès" ouvert à tous où l'on peut rencontrer de nombreux
intellectuels de tous les pays (beaucoup de monde autour des revues Politis et
Le Monde diplomatique). Le Forum Civique Européen s'est doté d'une revue
mensuelle "Archipel" éditée en plusieurs langues et qui fait le
point sur les campagnes en cours. Revue et congrès permettent un contact
régulier avec le mouvement des sympathisants.
Longo Maï se démarque toutefois d'une organisation politique traditionnelle en
faisant la différence entre un militant professionnel qui mène des campagnes
pour assurer son emploi alors qu'un membre de la communauté va réagir sur un
sujet et proposer une campagne en plus de son travail quotidien. De la même
manière, un parti politique, par discipline de groupe, va proposer une campagne
et chaque adhérent va suivre alors que les campagnes lancées par Longo Maï ou
l'une des structures qu'ils animent, va à chaque fois partir de zéro et seuls
les groupes et les personnes qui s'y intéressent vraiment y adhèrent (2).
Autre problématique développée par Longo Maï : le déséquilibre de plus
en plus flagrant entre la ville et la campagne. Alors que des millions de
personnes s'entassent désespérément dans les banlieues et survivent du RMI ou
du chômage, de l'autre côté, les campagnes se désertifient et les
agriculteurs sont même invités à pratiquer la jachère. Cette situation de
crise économique fait partie du discours du système dominant et le choix d'une
communauté à la campagne entend montrer qu'il est possible de raisonner
différemment, de vivre à la campagne, même si cela doit remettre en cause
certaines façons de penser des syndicats complètement sclérosés aujourd'hui.
En s'appuyant sur l'abandon du salariat et en préférant la notion d'effort
librement consenti, le choix de ses activités, la communauté de Longo Mai
provoque une rupture dans la logique actuelle du travail. Elle reprend aux
anarchistes le fait que l'on n'est pas sur terre pour travailler et qu'il est
plus important de faire la fête. Sans vivre somptueusement, une visite de la
communauté montre qu'à l'évidence la communauté a su développer une
certaine richesse : les bâtiments reconstruits en pierre sont magnifiques...
même si l'on n'y retrouve évidemment pas tous les gadgets de la société de
consommation. Sobre, mais beau.
Par contre, à la Différence d'autres milieux critiques, Longo Maï ne rejette
pas le progrès technique : l'invention de machines pour remplacer le travail
humain est souhaitée car dans l'absolu quoi de mieux qu'un monde sans effort.
Malheureusement, le système économique est tel qu'actuellement ces progrès
techniques ne servent qu'à produire des richesses qui vont dans la poche de
quelques uns. Une partie de cet argent accumulé étant réinvestie dans
l'assistanat (allocations chômages, RMI ... ) pour s'acheter une paix sociale
à bon prix.
Le choix de la communauté, c'est donc aussi le choix d'expérimenter ce que
peut être la répartition des richesses, de servir de terrain
d'expérimentation, de le montrer à ceux que cela intéresse, d'interpeller les
élus sur ce sujet et de donner envie à d'autres de récupérer des terrains et
de commencer leur propre aventure. Bref, d'offrir des solutions à ceux qui
maintenant arrivent à être des chômeurs de deuxième ou même troisième
génération.
Ce discours n'est pas que théorique. Après avoir rencontré de nombreux élus
ruraux qui se battent pour sauver leu r village, il s'avère que nombreux sont
ceux qui seraient prêts à prêter ou à vendre des terrains, des bâtiments
pour favoriser l'arrivée de jeunes défavorisés des banlieues, pour recréer
un pôle de vie dans leur commune.
Concrètement, de ces discussions sont nées d'autres coopératives et
communautés autour de la première communauté de Longo Maï.
Non loin de Limans : le hameau des Magnans. Ce centre est géré par
l'association "Les saisons" et permet l'hébergement en dur des
nombreux visiteurs, des intervenants lors des congrès ou tout simplement pour
ceux qui veulent venir prendre des vacances. Un appartement a été acheté à
Paris qui sert de point de chute pour les visites dans la capitale, mais aussi
pour servir de studio "décentralisé" pour certaines émissions de
Radio-Zinzine, la radio animée par Longo Maï.
Dans le Jura Suisse, la coopérative de Montois, près de Délémont, exploite
sur 12 hectares une cinquantaine de brebis et 250 oies. Cinq adultes et leurs
enfants y habitent.
En Suisse, on trouve également des bureaux à Bâle qui datent du temps de la
militance initiale. Ces bureaux sont gérés par quatre ou cinq permanents qui
ont la tâche ingrate de gérer les aspects financiers : gestion des
coopératives mais également gestion des fonds pour les différentes campagnes
engagées. Les sommes sont énormes : pour plus de deux cents adultes répartis
dans les différents lieux, on a un budget qui se chiffre en dizaines de
millions de francs (3).
Une autre coopérative a été créée, en 1977, dans une ferme d'Autriche,
pas très loin de la frontière avec l'ex-Yougoslavie, dans les montagnes de la
Carinthie, à Eisenkappel. La ferme de 17 hectares loue 25 hectares aux environs
ce qui permet l'élevage d'une centaine de brebis. Trois ou quatre bergers y
vivent en permanence, mais c'est également le lieu de repli préféré du
groupe Comédia Mundi, le groupe musical de Longo Maï. Cette communauté doit
faire face aux campagnes menées contre eux par les groupes néo-nazis bien
implantés dans la région.
Depuis la chute du mur, Longo Maï poursuit son implantation plus à l'Est, le
rêve initial étant de profiter de l'ensemble de l'arc alpin pour développer
ses villages alternatifs. Une coopérative vient de voir le jour en Ukraine, un
exploit car, là-bas, les Coopératives sont normalement rejetées car liées
dans l'imaginaire avec le défunt régime communiste. Il a également fallu
lutter sérieusement contre les ravages de l'alcool, un compagnon de lutte
pourtant habituellement bien présent dans les communautés de Longo Mai (4).
A l'automne 95, un nouveau projet de coopérative devrait voir le jour sur
cinquante hectares dans un land de l'ex-RDA.
Enfin, comme Longo Maï dispose de moyens de collecte de fonds efficaces, des
participations sont souvent prises dans des actions que la communauté soutient.
Ainsi, au Costa-Rica, une coopérative de paysans s'est mise en place avec le
soutien de Longo Maï. Longo Maï est officiellement propriétaire, mais
concrètement les paysans une fois lancés disposent de l'usufruit des lieux.
Lors des premières recherches pour implanter une communauté, les fondateurs
de Longo Maï se sont heurtés avec les élus ruraux. Ceci leur a servi de
leçon et depuis, ils ont appris ce qu'est la diplomatie. Ainsi, l'implantation
à Limans a été grandement facilitée par la présence d'anciens compagnons de
Giono qui vont là concrétiser leurs rêves de jeunesse. Il a quand même fallu
plusieurs années pour convaincre la mairie - "rouge, non encarté" -
que ces "Allemands" (en fait surtout Suisses et Autrichiens) n'avaient
rien à voir avec la dernière invasion de 1940. Ceci explique que par la suite
Longo Maï ait été relativement prudent. Lorsqu'il a fallu chercher de
nouveaux lieux, les discussions ont toujours eu lieu avec les élus locaux, avec
les voisins (pour éviter les jalousies sur des terres que d'autres paysans
voudraient)... ce qui explique qu'aujourd'hui les relations sont généralement
bonnes au niveau local.
Il n'en est pas de même des relations avec l'Etat, en France comme à
l'étranger. Les actions en faveur des immigrés et plusieurs actions de
désobéissance civile, J'accueil de personnes en situation irrégulière,
d'insoumis français ou étrangers a provoqué de nombreuses répliques des
Etats mis en cause. Après les procès autrichiens pour outrages, c'est le
gouvernement allemand qui a essayé de faire tomber le groupe.
Un mystérieux informateur propose un jour, à Bâle, aux militants d'Hydra de
passer des armes en Allemagne pour la bande à Baader. Hydra fait semblant
d'accepter, réceptionne les caisses d'armes, jette les armes dans le Rhin puis
charge les caisses vides dans des voitures. Comme par hasard, à peine entré
sur le territoire allemand, le convoi est intercepté par la police allemande
sous l'œil bienveillant de la télévision qui passait par là. Les caisses
sont ouvertes : elles ne contiennent plus que de vieux journaux.
En France, le ministre de l'intérieur, Marcellin, essaie d'interdire
l'implantation de la communauté en évoquant la proximité de la base du
plateau d'Albion et huit des fondateurs sont expulsés : trois Suisses, un
Allemand, un Anglais, trois Autrichiens. L'affaire remonte jusqu'à l'assemblée
nationale où le ministre répond qu"'ils sont connus à l'étranger comme
membres d'un groupe international anarchiste". Le Conseil d'Etat annulera
cet arrêté. La publicité faite à l'époque provoque la visite de dizaines de
milliers de personnes. La plupart des Français visibles aujourd'hui sont venus
à la suite de cette vague d'articles comme c'est le cas de François
Bouchardeau, fils d'Huguette, alors à la direction du PSU (5).
L'arrivée de cette vague de jeunes provoque un énorme essor de la communauté
et va par réaction provoquer une campagne de presse unique en son genre :
plusieurs centaines d'articles vont paraître entre le mois de décembre 1979 et
février 1980 pour dénoncer cette nouvelle secte (6). Un livre est même écrit
par la féministe Françoise d'Eaubonne "S comme Sectes" qui consacre
un gros chapitre à Longo Maï. Françoise d'Eaubonne qui écrit alors dans la
presse écolo ("La Gueule ouverte") est certainement la plus acharnée
puisqu'aujourd'hui encore elle poursuit ses attaques (7). Certains journalistes
se rendent sur place, d'autres interviewent des personnes déçues par Longo
Maï. Cette vague de presse cesse toutefois pour deux raisons : tout d'abord
cela ne provoque en rien la chute espérée de la communauté, d'autre part,
Longo Maï attaque systématiquement en procès tous les excès et gagne ses
procès, ce qui finit par coûter cher aux journalistes.
En France, le gouvernement devient "socialiste" (ne pas oublier les
guillemets !) et Longo Maï pense pouvoir bénéficier de plus d'attentions.
Mais il n'en est rien. En effet, le Gouvernement vire très rapidement au même
délire sécuritaire que les précédents et le summum est atteint le 29
novembre 1989 quand Alain Joxe, alors ministre de l'intérieur, ordonne l'assaut
de la communauté. A sept heures du matin, deux cent CRS, gardes-mobiles,
inspecteurs de la police judiciaire, de la DST et des gendarmes locaux sont
déployés, des camions barrent les voies d'accès et deux hélicoptères
survolent les lieux. Tout le monde est poussé dehors, en pyjama ou à moitié
nu dans le froid, les enfants comme les adultes. Les adultes doivent
s'agenouiller, les mains sur la tête, devant leurs enfants, sous la menace des
armes. Le matériel de la radio est cassé, tous les bâtiments sont fouillés.
On apprendra que le gouvernement a agi sur demande du gouvernement allemand qui
suspectait Longo Maï de servir de base arrière aux militants kurdes. Résultat
: un avocat kurde de cinquante ans, arrêté en Turquie pour avoir défendu le
droit des Kurdes, libéré au début des années 80 par Amnesty International,
réfugié politique en Suède et qui était en visite à Longo Maï, est emmené
avant d'être relâché dans la journée ! Aujourd'hui encore, quand vous parlez
avec les longomaïens, cette journée a été particulièrement traumatisante :
un gouvernement "socialiste" peut se comporter comme une dictature
fasciste.
Depuis cet épisode, Longo Maï n'a pas eu à souffrir de nouvelles attaques
d'envergure. Est-ce parce qu'ils s'assagissent avec I'âge ? Non, ce serait
plutôt qu'ils deviennent encore meilleurs en communication, en particulier avec
leur meilleur outil : la radio.
A la fin des années soixante-dix, se multiplient les
"radio-libres" jusqu'alors pirates. Les socialistes en arrivant au
gouvernement vont ouvrir les ondes à ces radios et légaliser cette pratique
(8). A partir de la "cabane" qui domine la montagne de Zinzine, les
activistes que sont les gens de Longo Maï, vont construire un petit studio
émetteur de toute beauté. Radio-Zinzine naît à cette époque et affiche tout
de suite sa volonté d'ouvrir les ondes à tout ce qui se fait de
"progressiste" au niveau local. Les discours à l'antenne sont
volontiers offensifs, irrespectueux. Nous sommes en pleine campagne de calomnie
par les grands médias. Le succès local est immédiat, mais la réalisation
après le changement de gouvernement va se heurter à une opposition des
Renseignements généraux. Le dossier est classé secret jusqu'à ce qu'il soit
publié dans "Minute" (revue proche du FN) et dans "Nouvelle
Solidarité" (revue du Mouvement ouvrier européen animé par le célèbre
Jacques Cheminade). On y apprend alors que Longo Maï serait une base arrière
pour les activités louches du PSU ! La commission officielle autorise quand
même à émettre. Depuis cette date, Radio-Zinzine, comme de nombreuses radios
vraiment libres, devra tous les deux ou trois ans, renouveler ses autorisations.
A chaque menace d'interdiction, le soutien d'hommes politiques de tout bord
(sauf FN) et de professionnels de l'audio-visuel permettra de continuer
d'émettre.
La radio fonctionne 24 h sur 24 h avec en alternance musique, émissions
spéciales, informations... sans un gramme de publicité. Les émissions sont
confiées aux habitants de Longo Maï mais aussi aux militants de la région (on
peut y entendre "La tribune de l'Ecologie" deux fois par semaine). Les
gens de Longo Maï profitent de leurs déplacements pour ramener des interviews
dans tous les domaines et s'ouvrent à d'autres équipes rédactionnelles, la
plus renommée étant celle du Monde diplomatique qui présente sur
Radio-Zinzine des "dossiers internationaux".
Les radios-libres sont à la fois rares et efficaces dans la lutte prioritaire
de Longo Mai : l'amitié entre les peuples. C'est pourquoi ils ont créé une
fédération européenne des radios-libres, la FERL, qui regroupe plus de 300
radios-libres associatives en Europe. Outre des échanges techniques et
juridiques, la FERL permet l'échange des meilleures émissions : celle
réalisée par le Monde Diplomatique est ensuite rediffusée par une quarantaine de radios francophones.
Enfin, certaines émissions sont reprises par écrit dans un bulletin
complémentaire de la radio "Le père Lapurge" qui permet ainsi à
ceux qui ne sont pas dans la zone d'émission (une bonne partie des Alpes du Sud
grâce à des relais) de bénéficier de leurs bonnes paroles.
Comment mieux porter la parole des peuples à travers l'Europe qu'en
chansons. Une troupe musicale, Comedia Mundi, s'est constituée au sein de Longo
Maï. Composée d'une douzaine de musiciens, elle est nomade, alternant les
concerts sur les terrains de lutte et les fêtes dans les coopératives de Longo
Maï. La fête est très présente dans la vie quotidienne. Il y a quelques
fêtes institutionnelles comme la "fête de la radio" fin juin, ou la nuit du 4
août en mémoire de l'abolition des privilèges. Sinon, il y a des fêtes lors
des rencontres avec l'extérieur, lors de la venue de groupes qui viennent à la
radio, et des fêtes impromptues selon l'humeur des gens.
Parallèlement à cette troupe, une autre tradition nomade s'est développée au
sein d'une association créée à cet effet par Longo Maï: les compagnons du
tour d'Europe. Il s'agit d'aider les jeunes qui le désirent à se promener à
travers ]'Europe afin d'aller faire des stages, d'acquérir de nouveaux savoirs
et de rencontrer d'autres jeunes. Cette association, créée en 1980, n'a pas eu
dans un premier temps le succès escompté, mais avec la chute du mur, elle
s'est avérée correspondre très bien avec la demande de nombreux jeunes de
]'Est, avides de découvrir l'Ouest, mais n'ayant pas les moyens financiers de
le faire. L'association permet de trouver des lieux d'accueil, de faire les
démarches administratives pour se déplacer et également de suivre des cours
de langues dans des universités en France, en Suisse et en Autriche.
Si Longo Maï ne se reconnaît dans aucun des mouvements politiques, ils interviennent quand même dans les débats. Ainsi lorsqu'en 1987, les candidatures aux élections présidentielles d'Antoine Waechter (les Verts) et de Pierre Juquin (Vert et Rouge, extrême-gauche) sont annoncées, ils participent à des réunions de l'Appel Arc-en-Ciel qui regroupent des gens souhaitant une seule candidature. Lors d'une réunion à Villeurbanne (Rhône) où Juquin et Waechter se rencontrent pour la première fois, quelques personnes de Longo Mai prennent la parole dans la salle pour essayer d'expliquer en quoi il est vain d'entrer dans le jeu électoral si l'on ne commence pas déjà par construire un mouvement alternatif fort en marge de ce système. L'incompréhension est quasi-totale car les militants présents sont convaincus d'agir déjà pour une nouvelle société. Longo Maï se définit comme pacifiste, alternatif, anti-autoritaire, révolutionnaire, libertaire. Ils dénoncent la mauvaise politisation de l'écologie par les professionnels de la politique. Une nouvelle fois le débat entre "radicaux altematifs" et "réformistes" ne donnera rien. Certains sont bien trop aveuglés par la course au pouvoir pour se pencher sur le rôle des communautés ou plus généralement des initiatives alternatives (les gens qui essaient de vivre en accord avec leurs idées).
Comme dans toutes les communautés, il y a des gens qui arrivent et des gens
qui partent. Pas spécialement intéressés par les techniques des groupes
non-violents, les discussions collectives sont parfois très intenses et
certaines personnes finissent par s'user : le fonctionnement par consensus
nécessite de prendre beaucoup de temps lorsque cela coince ( à 200 !) et cela
favorise le rôle des "grandes gueules". Mais à la différence d'une
association ou d'un mouvement politique, il s'agit dans une communauté de
gérer sa vie avec les autres 24 h sur 24 h et il faut quand même faire en
sorte que le groupe tourne, ce qui nécessite beaucoup de capacité de
compromis. Concrètement, les départs se font généralement sur des problèmes
de conflits interpersonnels et rarement sur des problèmes d'orientations
politiques.
Trois éléments au moins ont grandement favorisé la résolution des conflits :
le travail militant qui accompagne la vie de la communauté permet d'aller se
ressourcer dans des actions extérieures, le grand nombre de lieux permet
également de changer de place si nécessaire, enfin la radio s'est révélée
être un important moyen d'échanges. C'est l'activité où tout le monde
participe et la nécessité d'élaborer le message qu'on veut y faire passer en
direction de l'extérieur a aussi un rôle important sur les relations à
l'intérieur.
Longo Maï s'est constitué un vaste réseau de soutien pour financer ses
activités. Si ce type de collecte est pratiquement réservé en France aux
grandes associations médiatisées, en Suisse, c'est beaucoup plus dans la
tradition des gens de soutenir des projets.
Concrètement, l'argent est collecté essentiellement pour deux usages : d'abord
pour la constitution de patrimoine immobilier (et souvent les reconstructions)
et ensuite pour financer les campagnes militantes.
Dans le cas du Forum Civique Européen qui réunit chaque année à Longo Maï
des centaines de personnes dont la moitié viennent de l'Est, il est nécessaire
de collecter des fonds pour payer les voyages de ces militants qui n'ont pas
d'argent et ne peuvent faire face au niveau de vie ouest-européen. Sinon des
collectes de fonds sont également faites pour des projets que soutiennent Longo
Maï comme par exemple l'acquisition de terres appartenant aux blancs en Kanaky
pour que les tribus kanak puissent récupérer leurs terres ancestrales.
Sinon, le fonctionnement des différentes coopératives est auto-financé par
les activités agricoles et par la vente des produits (laine, fruits et
légumes, disques de musique de Comedia Mundi, quelques publications ... ).
La notion de famille est très peu mise en avant, tout comme la notion de
communauté. Longo Maï préfère le terme de coopérative. Ceci s'explique par
la volonté d'être Laïc, alors que "famille" et
"communauté" sont pour eux reliés à la religion. Cela ne veut pas
dire qu'il n'y a pas des croyants dans les sympathisants... mais la religion est
complètement mise à part.
Cette volonté laïque s'est traduite dans l'éducation des enfants : à leur
arrivée à Limans, l'école du village était fermée et une des premières
luttes menées par Longo Maï a été d'obtenir la réouverture de l'école
communale. Il a fallu organiser un an d'école sauvage avec le soutien des
parents du village pour obtenir gain de cause. Les plus grands vont au CES à
Forcalquier, au lycée à Dignes, à la faculté à Marseille. Le choix était
que les enfants ne soient pas coupés de la réalité et qu'ils fréquentent
d'autres enfants de leur âge.
Si les couples sont informels, ils existent bien... et c'est d'ailleurs l'une
des principales sources de conflits. Les enfants vivent plutôt avec leurs
parents, mais il existe des regroupements voulus par les mères au départ. De
même, les enfants ont la possibilité d'avoir des pièces à eux pour gérer
leurs propres activités. En cas de séparation des parents, on constate que
cela se passe plutôt mieux que dans la société classique puisque
généralement les parents restent sur la même communauté et les enfants ont
déjà une certaine habitude de vivre avec des liens plus informels.
Le ler juillet 1993, Rémi est mort et Longo Maï a dû continuer à
fonctionner sans son premier fondateur. Preuve s'il en est que Rémi n'avait
rien d'un gourou, Longo Maï a su passer sans problème cette épreuve.
Aujourd'hui, après vingt ans de fonctionnement, les enfants grandissent et
arrivés à l'adolescence, on a deux types de comportement : certains entrent en
opposition et quittent (provisoirement ou définitivement) Longo Maï, d'autres
par contre ne connaissent pas cette phase de révolte car ils comprennent que
leurs parents sont déjà en révolte. Dernièrement un groupe de jeunes, entre
15 et 20 ans, a fait une demande pour monter sa propre coopérative dans une
partie inhabitée de la propriété de Limans. Si cette deuxième génération
se met en place, alors le fonctionnement communautaire aura prouvé sa
fiabilité et le système dominant n'aura plus qu'à bien se tenir.
Pour les contacter : Communauté de Limans (maison principale)
B.P. 42
F-04300 Forcalquier ; tél : 04 92 73 05 98.
Lire également ce petit texte écrit par eux-mêmes (avant de les contacter !) : les escrocs-villages
N'hésitez pas à me faire part de vos réactions, suggestions, interrogations, difficultés etc., ainsi que des fautes ou problèmes techniques que vous auriez rencontrés...
Pour toute citation ou reproduction de textes de ce site, non destinée à un usage strictement personnel, merci de :