Nous avons un fort besoin de faire bien, d'être bien considérés par
autrui, d'être acceptés, valorisés etc.
Il en résulte une souffrance lorsque l'on reçoit une critique négative,
surtout si elle est faite en publique ou par quelqu'un qui nous est cher. Une
critique négative est une critique susceptible d'entraîner un rejet, une
dévalorisation. Elle se réfère généralement à un échec, une piètre
performance.
Souvent, cette souffrance est telle que nous cherchons à l'éviter à tout
prix, et plutôt qu'accepter la critique (au sens d'essayer de la comprendre
puis d'envisager de la prendre en compte), nous commençons par la rejeter.
Nous réagissons par un mécanisme de défense. Nous allons nier,
contre-argumenter, ou nous justifier. De sorte que, même si la critique est
fondée, nous n'en tirons pas parti...
Pire, cette souffrance entraîne parfois de l'agressivité à l'égard de
sa source extérieure : l'auteur de la critique. Cette agressivité pourra se
manifester sous la forme d'une critique, un peu comme on rend un coup à un
adversaire. C'est l'origine des répliques du genre :"et toi, tu t'es
vu?", "commence par t'occuper de toi!" etc.
Cette réponse étant plus ou moins agressive, l'interlocuteur risque de
réagir d'une façon analogue... Et le ton va monter. C'est la querelle: un
échange de messages dont le but n'est plus d'informer, mais d'agresser.
L'attitude guerrière étant disqualifiante en elle-même, on sera tenté
d'envoyer des "projectiles" déguisés en informations objectives,
voire "aidantes". Ainsi, on assouvira sa soif de vengeance, tout en
satisfaisant son besoin de conserver une bonne image de soi. L'amour propre
est tellement refoulé que généralement, cette guerre est menée
inconsciemment tandis que nous croyons consciemment être irréprochables.
Cela contribue à la pérennité du phénomène.
Il y a ainsi deux niveaux: l'échange d'informations, et la joute verbale.
C'est à chacun d'utiliser les informations dans une perspective
d'enrichissement mutuel ou d'en faire, au contraire, la couverture d'un
conflit. Si l'un des deux protagonistes est trop "défensif", il
percevra un rapport de force et alimentera une joute verbale, dans laquelle il
sera difficile pour l'autre de ne pas se trouver entraîné.
Cet attachement viscéral à une bonne image de soi est donc un obstacle à
la paix et à l'évolution de chacun.
Le dialogue est d'autant plus difficile qu'un manque de rigueur permet de
déformer l'interprétation dans un sens favorable à l'intérêt du guerrier
querelleur tapi dans l'ombre de chacun d'entre nous.
Une règle souvent proposée pour éviter la querelle consiste à interdire
toute critique négative.
Pourtant, cette dernière peut être très utiles: n'est-t il pas bon de
dénoncer ce qui peut être source de souffrances ultérieures, comme, par
exemple : la montée d'une dictature, une mauvaise gestion etc. ?
Une mesure aussi radicale entrave dangereusement la liberté d'expression.
Une certaine façon de formuler sa critique peut limiter la réaction
d'amour-propre du récepteur.
Par exemple:
-Accompagner toute critique négative d'une critique positive (par laquelle on
commencera). "tu es quelqu'un dont nous apprécions l'efficacité, mais
tu es souvent tyrannique".
- S'abstenir de faire ses critiques en publique.
- Ne pas qualifier les personnes mais leurs comportements. On ne dira pas
"tu es violent", mais "tes gestes sont violents".
- Désigner des faits objectifs avec précision, plutôt que qualifier le
comportement. On ne dira pas "tes gestes sont violents" mais
"tu fais bouger ton bras trop rapidement".
- Ne pas commencer la phase par "tu", mais par "je":
"je suis gêné par les mouvements de ton bras".
- Nuancer son affirmation par "il me semble que...", "je peux
peut-être me tromper mais...","ce n'est que mon avis".
Etc.
Tout cela s'avère bien souvent insuffisant. La personne susceptible
perçoit généralement très bien ce que l'on cherche à édulcorer. Par
exemple, même si on lui dit "moi je suis comme cela", elle entendra
qu'on lui dit qu'elle n'est pas comme cela... et réagira à la critique ainsi
perçue.
Dans une communication, il y a trois éléments :
E: Ce que l'émetteur a voulu exprimer (idée ou affect)
M: Le message (ensemble de sons ou de signes)
R: Ce que le message a provoqué chez le récepteur (idée ou affect).
Le problème est que le récepteur ne perçoit pas toujours ce que
l'émetteur souhaitait transmettre: E n'est pas égal à R.
R dépend beaucoup de la personnalité du récepteur, d'autant plus que celui
ci a tendance à interpréter librement. Ainsi, certaines personnes ayant
été fortement blessées dans leur passé, peuvent développer une forte
sensibilité à la blessure...
Ainsi, un message qui n'était pas destiné à blesser peut le faire. Tel
message, qui laisse indifférent certaines personnes en blesse d'autres.
A priori, ce n'est donc pas un message (M) qui est blessant, et encore moins
un émetteur, c'est une perception...
Donc, non seulement soigner la formulation du message présente des
inconvénients (lourdeur, déformation voire non-dit), mais cela ne résout
pas forcément le problème de la réaction d'amour propre, qui peut exister
en dehors de toute critique !
Il semble qu'il faille en premier lieu agir au niveau de la perception. C'est
d'ailleurs bien là que se localise la souffrance initiale : C'est le
récepteur qui souffre, pas l'émetteur.
En se focalisant sur l'émission du message, celui qui souffre, et qui est donc tenté de dénoncer la cause de sa souffrance, est naturellement amené à critiquer son interlocuteur négativement. La querelle est en quelque sorte entretenue parce que chacun se focalise sur l'autre. Chacun essaie de changer l'autre. On imagine le cercle vicieux... C'est l'histoire d'une certaine paille et d'une certaine poutre...
Par contre, en se focalisant sur la réception, celui qui souffre se
retrouve à agir sur lui-même, cela n'entretient pas la querelle. De plus, il
est plus facile d'agir sur ce qui dépend de soi que sur ce qui dépend
d'autrui...
En agissant sur son amour-propre, plutôt qu'en exigeant un langage
"non-violent", on accède à une plus grande liberté. Notre
bien-être ne dépend plus du comportement d'autrui.
Mais comment faire en sorte de ne pas souffrir, de ne pas se sentir blessé ?
-Ne pas percevoir une critique comme un acte de supériorité. Mais y voir uniquement la transmission d'une information. S'intéresser au message et non pas au rapport entre soi et son interlocuteur. Se focaliser uniquement sur les idées.
-Ne pas prendre a priori la critique comme vraie, mais uniquement comme ce
qui est dit par telle personne, qui peut fort bien se tromper, s'exprimer de
façon maladroite, approximative etc.
En effet, si l'on se sent blessé, c'est que, quelque part, l'on prend pour
valable, la critique qui nous est faite... Or, elle peut fort bien être
erronée.
Donc, bien réaliser que ce qui est dit n'est pas forcément la réalité, que
ce n'est d'abord que ce qui est dit...
-Ne pas présupposer que tout ceux qui entendent la critique la prennent pour vraie (dans le cas d'une critique en public). Considérer que croire hâtivement à ce qui est dit relève de la stupidité et qu'il n'est pas nécessairement vital de plaire aux personnes crédules. Ne pas avoir pour but de plaire toujours et immédiatement à tout le monde. Réaliser que ce but est irréaliste. Se donner un objectif plus "élaboré", moins "immédiat"... Par exemple, faire régresser la stupidité...
- Se libérer de l'illusion que c'est le message qui est blessant, réaliser que c'est sa perception… (Même si certains messages peuvent induire plus facilement une telle perception).
-Faire une pause avant de répondre : pour prendre conscience de ses émotions, afin de laisser disparaître celles qui ne sont pas cohérentes avec nos objectifs conscients... Cela nous évitera de "réagir"...
-Ne pas avoir (en pensée) de jugement de valeur sur les personnes (soi ou autrui), mais s'intéresser uniquement aux idées évoquées.
Surtout :
Ne pas s'attacher à une image positive de soi, à un rôle social. Se désintéresser de cette image: faire abstraction de ce "moi".
Pour y parvenir, il est utile de se focaliser sur autre chose que ce
"soi" :
- sur son oeuvre (être dans l'action, la création),
- sur l'autre: cela permet de ne pas être touché par "l'information
telle quelle", et de voir, le cas échéant, la souffrance que l'être
exprime maladroitement par sa critique: on est dans la compassion.
- sur quelque chose qui nous dépasse, un bien commun, quelque chose qui nous
unisse... se fondre dans un idéal.
On pourra réaliser que ce "moi" n'est pas "moi",
cesser de s'identifier à son image, à la perception qu'autrui a de soi-même
; cessé de s'identifier à un ensemble de concepts... être ainsi plus
profondément dans le présent et l'action.
On pourra mépriser les apparences. Il s'agit de sortir du monde des images.
Ceux qui défendent leur image sont ceux-là même qui se préoccupent de
l'image d'autrui, et cherchent éventuellement à l'atteindre. La flatterie
apparaît alors comme aussi absurde que le dénigrement...
Où l'on voit que l'éthique amopienne serait la source d'une harmonie et
d'une efficacité collectives considérables.
A l'inverse, la société actuelle est fortement axée sur le culte de la
réussite individuelle, qui est une image dont l'individu s'entiche. L'image
de soi y est valorisée, enflée. Il n'est pas étonnant que les conflits et
autres insatisfactions y soient aussi répandus.
Donc, si la critique est constructive, l'écouter, essayer de comprendre
pour, le cas échéant, la prendre en compte.
Mais comment savoir si une critique est constructive ?
Cela est difficile: il s'agit d'une interprétation hautement sujette à
erreur. Non seulement, parce que cela concerne l'intention d'autrui, dont nous
ne pouvons juger que par des indices extérieurs. Mais encore parce que notre
amour-propre peut nous inciter à juger non-constructif ce qui altère notre
image...
Bien sûr, on peut estimer vraisemblable qu'une critique objectivement vague
et employant des termes connotés ne soit pas inspirée par un réel désir
d'entraide. Mais les situations ne sont pas toujours aussi extrêmes. Il est
possible de voir un jugement de valeur là où l'émetteur n'en mettait pas.
Il est souvent difficile d'exprimer un sens objectif sans utiliser de terme
qui ne puisse être perçu comme connoté.
Donc, dans un premier temps, on fera comme si la critique est bienveillante, et l'on cherchera donc à en tirer parti. En effet, même si elle ne l'est pas, une telle attitude ne nuit en rien à l'harmonie, et peut même amener l'autre à une attitude plus positive... Ne pas lui répondre à ce stade serait un manque de respect, et juger la critique malveillante pourrait être hâtif.
Ainsi, si la critique est manifestement trop "vague", on
demandera des précisions : "-t'es vraiment un crétin ! - qu'est-ce qui,
précisément, dans mon comportement, te fait dire cela ? Pourrais-tu m'aider
à m'améliorer ?" Cela doit être fait avec une certaine sincérité,
afin d'éviter que l'autre ne perçoive de la dérision ou de la moquerie.
On demandera à l'autre de justifier sa critique afin que l'on puisse en
comprendre la raison. Il ne s'agit évidemment pas de l'accepter si l'on n'est
pas convaincu de son bien fondé.
Si l'autre ne parvient pas à rendre sa critique plus objective,
compréhensible, ou ne le souhaite pas: " laisse tomber, ton cas est
désespéré", "c'est mon intuition, ça ne s'explique pas". Il
s'agit manifestement d'une critique infondée (visant à une prise de
pouvoir). Il conviendra alors d'amener l'autre à exprimer ce qui se passe en
lui, afin de comprendre son problème. Si l'on n'y parvient pas, on cessera la
tentative de dialogue.
On s'abstiendra, en particulier de faire remarquer à l'autre que sa critique
est "non constructive", car dans le cas où il est
"querelleur", il pourra nous reprocher de le juger, de réagir par
"amour-propre" etc. On risque d'alimenter son réflexe "il me
juge, donc je le juge" et donc: le cercle vicieux de la querelle (même
si ce n'est pas notre intention).
Si l'autre parvient à rendre sa critique exploitable, on aura appris
quelque chose de précieux pour soi-même. A plusieurs, on apprend plus vite
à se connaître, et on parvient plus vite à s'améliorer pour le bien de
tous... à condition d'avoir mis son amour-propre de côté, et de communiquer
avec rigueur.
La critique doit être recherchée, appréciée, et non pas rejetée.
Dans le cas où la critique est infondée (affirmation manifestement
erronée), on pourra la contester en corrigeant ce qui est dit. Cela ne doit
pas être interprété comme une réaction d'amour-propre. Ce serait là un
jugement hâtif.
C'est par son caractère précipité et approximatif que la réaction
d'amour-propre peut être supputée. Par exemple, si la personne se sent
visée par une affirmation à caractère général, réagit vivement à ce qui
n'est présenté que comme une impression personnelle, se justifie
systématiquement (même lorsque ce n'est pas utile), et surtout : exprime de
la colère (signes para-verbaux, ou termes usuellement connotés).
Par contre, ne pas admettre immédiatement le point de vue de son interlocuteur, échanger des arguments avec lui est parfaitement normal. Ce n'est pas "vouloir à tout prix avoir raison". Ce jugement hâtif ne fait qu'exprimer l'impatience de son auteur. Le dialogue nécessite un effort de la part des deux parties.
Il est en particulier normal de contester publiquement une critique injuste lorsqu'elle a été faite en public. Car le fait que d'autres y croient peut porter objectivement préjudice à sa victime (en s'opposant à un but autre que la préservation d'une bonne image). Il conviendra alors de contester en rétablissant la vérité, en expliquant le caractère erroné de la critique, sans attaquer qui que ce soit, sans se sentir blessé.
Si la polémique en tant que joute d'ego peut prendre la forme d'un débat où s'échangent des critiques, tout échange de critiques n'est pas nécessairement une joute d'ego. Or, l'habitude de la prégnance de l'ego dans notre société fait que l'on tend à voir hâtivement une joute d'ego là où il n'y en a pas forcément. De même, l'habitude de la violence nous fait la percevoir là où elle n'existe pas forcément chez les protagonistes de l'échange. D'où l'importance d'être particulièrement circonspect dans ce genre de jugement, et de percevoir les choses d'une façon a priori positive...
La négativité que nous portons en nous nous fait percevoir, voire créer de la négativité à l'extérieur de nous. Réciproquement, être positif, engendre de la positivité.
La critique doit être bienveillante et constructive. De ce fait, on fera
en sorte d'évoquer des faits précis, afin que l'interlocuteur comprenne de
quoi il s'agit. On prendra la peine de lui expliquer afin qu'il découvre par
lui-même la réalité du problème. En particulier, on répondra
précisément à toutes ses demandes dans ce sens. Cet effort de notre part
mesure la réalité de notre bienveillance...
On essaiera de trouver des solutions.
La critique sera évidemment faite à la personne concernée, et non pas à un
tiers (sauf cas particuliers).
Dans la mesure du possible, on prendra les " précautions de surface
" évoquées plus haut :
On évitera les termes connotés, la qualification des personnes, la critique
en public (sauf si elle se justifie pour les tiers : dénoncer une
escroquerie, par exemple) etc.
La critique ne doit pas avoir pour fin d'exprimer un sentiment personnel.
C'est là l'origine des jugements de valeur.
Ainsi, on ne dira pas "quel con ce chauffeur! " mais "Bigre!
J'ai eu peur de me faire rentrer dedans ! Ce chauffeur aurait-il manqué
d'attention ?"...
La critique ne doit pas servir à évacuer un problème. C'est souvent ce que l'on fait en affirmant haut et fort l'hypothèse explicative qui convient le mieux à nos besoins, en collant des étiquettes qui nous dispensent de chercher à approfondir. On se crée ainsi un univers de concepts qui nous enferme et nous tient à distance de la réalité, mouvante et complexe. La critique ne doit pas être un moyen de rejeter autrui.
Si le jugement "objectif" est utile et nécessaire, il doit être
aussi fondé que possible (indices suffisamment nombreux et pertinents), et
pouvoir être mis en doute (en présence de nouveaux éléments, par exemple).
Le problème n'est pas le jugement, mais l'attachement à son jugement. Cela,
tout comme ce qui nous porte à juger dans un certain sens indépendamment
d'un fondement objectif, est de l'ordre de l'émotionnel, du subjectif. Le
subjectif est respectable en soi. C'est ne pas le reconnaître pas comme tel
qui est préjudiciable. C'est ce qui se produit dans les jugements de
valeur...
Ainsi, il est important que les émotions soient reconnues et explicitées,
afin qu'elles n'interfèrent pas subrepticement avec les jugements objectifs.
D'où l'importance de se connecter à ses émotions et de les différencier de
ses observations.
N'hésitez pas à me faire part de vos réactions, suggestions, interrogations, difficultés etc., ainsi que des fautes ou problèmes techniques que vous auriez rencontrés...
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