Humanisme pur

De l’amour à l’humanisme
ou
Comment obtenir des rapports harmonieux ?

L’amour nous fait aspirer à des rapports satisfaisants pour tous, "positifs".
En effet, on ne peut rendre heureux autrui en se sacrifiant pour lui (il n'appréciera pas).
Mais comment établir un tel rapport ?

Pour commencer, interrogeons-nous sur ce qui peut rendre un rapport insatisfaisant, négatifs, tendu.

Des obstacles

La source des maux

Un rapport est négatif si l'un au moins des protagonistes se sent mal à cause de l'autre.
C’est typiquement le cas s'il y a de la violence, en particulier physique. Or, à l'origine de la violence, il y a généralement une souffrance morale chez l'agresseur.
La souffrance morale découle toujours d’un attachement à une situation donnée. L’attachement à une situation fait que je vais être frustré si elle n’est pas au rendez-vous, impatient si elle tarde à venir, anxieux si elle risque de disparaître.
Ainsi, le rapport entre deux individus est fatalement négatif s’ils sont attachés à des situations incompatibles entre elles.

L'intolérance

En particulier, l’attachement à une situation concernant objectivement autrui plus que soi-même est une source fréquente de tension.
Par exemple, si je veux que mon fils réussisse sa vie d’une certaine façon (attachement de ma part), et qu’il aspire à autre chose, je vais être frustré, avoir tendance à lui imposer certaines choses ou à le harceler. Notre relation va se tendre.
De même, si je considère une opinion comme inadmissible, je vais avoir tendance à brutaliser ceux qui la partage, ce qui peut engendrer un rapport conflictuel.

Une première chose semble s’imposer pour des rapports plus harmonieux : la tolérance. L’intolérance résulte d’une confusion entre autrui et soi-même, c’est le produit d’un rapport « fusionnel ». L’intolérant exige des choses qui appartiennent à la vie d’autrui, et devient ainsi pénible ou contraignant pour son entourage.
Sur le plan comportemental, la tolérance se traduit par le principe « harmoniste » suivant :
1- Ne pas harceler ni contraindre autrui, pour une raison qui le concerne objectivement plus que quiconque.
Il peut être souhaitable, en effet, de discuter, voire de contraindre si la personne a un comportement fortement nuisible pour autrui.
Les opinions d’une personne la concernent au premier chef. Chacun doit être libre de penser ce qu’il veut ! Or, nous avons tendance à être très dépendants de l’opinion d’autrui sur nous-mêmes. C’est là une source fréquente de tensions...
Pour des relations positives, il est donc souhaitable de cultiver un certain détachement. Celui-ci n’est pas incompatible avec l’amour, bien au contraire. Nous parlons bien sûr de l’amour tel que nous l’avons défini, le terme étant malheureusement souvent détourné et confondu avec l’appropriation d’autrui, qui est précisément, comme nous l’avons vu, une source d’intolérance…

La concurrence

L’intrusion dans la vie d’autrui n’est cependant pas nécessaire à l’apparition d’un rapport négatif. Un conflit peut découler d’attachements ne concernant que soi-même.
C’est le cas lorsque deux personnes veulent pour elles-mêmes une même chose, non partageable. C’est la situation de concurrence, laquelle induit les conflits d’intérêts.
Si ce que nous voulons est respirer, il n’y a pas de problème : l’air est partageable. Si nous voulons manger, pas de problème : sauf situation de pénurie exceptionnelle, il est aisé de nourrir tout le monde. Si nous voulons un peu d’amour et de tendresse, pas de problème non plus. Tout cela, du moins, serait disponible en abondance, si l’appropriation n'était pas un fondement de notre culture.(1)
Mais si je veux être le propriétaire d’une chose précise, je suis inévitablement en concurrence avec tous ceux qui veulent s’accaparer cette même chose. Si je veux un statut unique : être le chef, être le préféré etc., je suis inévitablement en concurrence avec ceux ayant la même ambition. La tension est d’autant plus violente que chacun est fortement attaché à ce désir non « partageable ».
De même, les individus qui veulent le plus possible d’une même chose, vont être automatiquement en compétition entre eux. Une économie monétaire favorise une telle avidité : la monnaie permet de faire beaucoup de choses, de sorte que la possession du maximum d'argent est désirée par tout le monde…

Des conventions

Une solution à ce type de problème serait que chacun ne soit attaché qu’à ce qui est partageable. Or, il se trouve que les besoins humains essentiels ne concernent que des choses partageables…
Ce sont des conventions ou des modes d’organisation sociale bien particuliers, qui induisent les désirs fortement concurrentiels évoqués plus haut. Les statuts de chef ou de propriétaire sont des droits sociaux exclusifs (souvent garantis par la force publique). Par habitude, ces statuts nous paraissent naturels, comme des éléments incontournables de la réalité, alors que l’on pourrait se passer de leur existence si l’on parvenait à se mettre d’accord facilement par le dialogue (le chef ou le propriétaire est celui dont le choix peut être imposé aux autres dans certains domaines…)
D’où le deuxième principe "harmoniste" :
2- Ne pas rechercher pour soi-même un statut social qui ne puisse être partagé avec tout le monde.
Et ce troisième (au niveau de l'organisation):
3- Éviter tout droit social correspondant à une hiérarchie de pouvoir.

Des clés

Partage et bien commun

En pratique, ceci n’est pas encore suffisant. Si l’on n’y prend pas garde, notre avidité naturelle est telle que l’on va facilement se trouver en compétition avec autrui au moment de disposer d’un bien matériel. Pour éviter cela, un objectif commun, positif, doit être développé. C’est là qu’interviennent les notions de partage et de bien commun.

Bien sûr, deux individus peuvent s’entendre sur cet objectif commun qu’est un partage, en tant que compromis pour éviter les conséquences d’un conflit entre eux. Par exemple, s’ils trouvent simultanément un même trésor, ils peuvent se le partager afin d’éviter les dommages probables d’un conflit… Le partage représente alors un moindre mal. La relation reste négative, le rapport de concurrence demeure, mais géré sans conflit. Au lieu de courir le risque de tout perdre, y compris la vie, ils perdent chacun la moitié de ce dont ils auraient bénéficié si l’autre n’avait pas été là (d’où la tentation, d’ailleurs, de rompre perfidement le contrat, et une méfiance mutuelle permanente).

Pour une relation positive, l’objectif commun doit être recherché pour lui-même, spontanément désiré.
Si des individus partagent un tel objectif commun et que celui-ci l’emporte sur tout autre attachement, il ne peut plus y avoir de concurrence entre eux. Mieux : il y a le contraire de la compétition : l'harmonie. Cette dernière est une relation positive. En effet, si autrui poursuit le même but que moi, non seulement il ne s’oppose pas à mes projets, mais y contribue, librement…
Mais qu’est-ce qui peut nous faire ainsi aspirer au partage, à un bien commun, plus qu’à toute autre chose ? La réponse est bien sûr : l’amour, puisque celui-ci nous amène à désirer le bien d’autrui en lui-même.

L'amour inconditionnel

Pour parvenir à un tel rapport éminemment positif, l’amour doit être suffisamment développé : il faut désirer le bien d’autrui au moins autant que le sien. De plus, cet amour doit habiter toutes les personnes avec lesquelles on souhaite un tel rapport.
Le problème est que nous n’aimons généralement pas tout le monde, voire même que nous éprouvons de l’antipathie pour certains, ce qui est évidemment une source de négativité.
L’amour envers certaines personnes seulement n’empêche évidemment pas les conflits. Il peut même les alimenter dans certains cas. Les conflits ont alors lieu entre clans, et sont encore plus violents à cause de la compassion, de la rumination (bavardages) et de la coopération au sein de chaque clan. D’où les guerres.

Si beaucoup ont du mal à concevoir que l’on puisse aimer tout le monde, cela tient à un certain nombre de confusions.
Il importe, pour commencer, de bien distinguer la personne de son comportement. Un comportement perçu est toujours passé ou présent. Le concept de personne désigne, lui, un sujet, un potentiel d’évolution. On peut bien sûr estimer improbable une évolution rapide d'un comportement. Il convient simplement de ne pas identifier celui-ci avec la personne qui le produit.
Il est également capital de ne pas confondre aimer avec apprécier, l’amour-bienveillance avec l’amour-appréciation. La confusion est d’autant plus compréhensible que le mot utilisé est le même… En distinguant bien ces deux notions, on peut plus facilement faire preuve de bienveillance envers autrui, indépendamment de ses caractères ou comportements. L’appréciation est une réaction sensorielle et émotionnelle immédiate, la bienveillance une disposition intérieure durable. Il faut rompre le réflexe qui fait passer de l’une à l’autre.
La troisième confusion consiste à avoir une idée naïve de la bienveillance. Etre bienveillant envers une personne ne consiste pas à ne faire que ce qu’elle va immédiatement apprécier. Cela consiste à agir dans le sens qui lui est le plus favorable à long terme, tout en prenant également en compte l’intérêt des autres (puisqu’il est question ici d’aimer tout le monde). Ainsi, si un individu est dangereux, il pourra être souhaitable de l’empêcher de nuire. Cela ne signifie pas que l’on manque de bienveillance envers lui…
Enfin, pour un bonheur durable, il faut dénoncer l’idée reçue selon laquelle les sentiments ne se commandent pas. Bien-entendu, ils ne peuvent généralement être commandés de façon immédiate, mais ils peuvent être influencés sur le long terme par un travail approprié, être ainsi développés ou au contraire, réduits.(2)
Comme l’amour est agréable et bénéfique, il y a tout intérêt à le cultiver… envers tout le monde.
Il importe de bien le percevoir pour ce qu’il est : une disposition intérieure, et non pas un lien particulier envers une personne donnée ; une façon d’être qui nous appartient et non pas le produit d’une alchimie mystérieuse qui nous échappe.
Une fois que l’on a bien réalisé tout cela, l’amour universel n’apparaît plus comme une utopie, mais bien plutôt comme une évidence.

Le duo gagnant

Si l’amour aide à soutenir un objectif commun (nécessaire à l’harmonie relationnelle), il ne le détermine pas à lui-seul. A l’état brut, il induit souvent des réactions émotionnelles pouvant avoir des conséquences négatives. C’est seulement conjugué à la raison, en tant qu’il nous porte à désirer des relations positives, un objectif commun à tous, qu’il est indiscutablement salutaire. Nous retrouvons ici la définition de l’amour selon St Exupéry : « regarder ensemble dans la même direction ».
En effet, compte tenu de ce que nous avons vu plus haut, un objectif commun à tous, le plus grand bonheur possible du plus grand nombre possible, l’humanisme(3)- s'impose pour garantir l'harmonie, le bonheur d'autrui et de soi-même.

Le schéma ci-dessous montre l’efficacité de l’amour lorsqu’il s’accompagne de l’intelligence : il permet alors réellement le bonheur d’autrui, sans nuire à personne.

organigramme

la flèche en pointillés exprime une simple aspiration.
Les flèche pleines expriment une contribution effective...

L'utopie réalisable

A cette autre « façon d’être » correspond une autre économie, radicalement différente : fondée sur le partage et la coopération, et non plus sur l’appropriation et la compétition.
Cette idée(4), qui remonte à l’antiquité(5), est généralement partagée tous ceux(6) qui réfléchissent sérieusement à une cité idéale.

Simplement, et là est la nouveauté, nous ne nous contentons pas ici d'une approche purement politique, ou au contraire, purement psychologique. Nous appliquons là où cela ne se fait généralement pas, la pensée rationnelle et la démarche expériementale, lesquelles se sont toujours avérées bénéfiques là où elles ont été employées(7)
Surtout, pour une bonne entente, les choses doivent être précisées un peu plus. C'est là qu'intervient l'humanisme_rationnel...



(1) Ce point est joliment illustré par ce petit conte : Les chaudoudous.

(2) Ce point est joliment illustré par cet enseignement amérindien : Le vieux Cherockee.

(3) Le terme "utilitarisme" est parfois employé dans ce sens (en histoire de la philosophie), mais cela nous semble plutôt malheureux puisque l’utilité est une notion purement relative. Notre « utilitarisme » n’exclut pas l’agréable, il n’oublie pas les fins ultimes au profit des moyens, bien au contraire !

(4) L’organisation économique dont nous parlons ici est bien, étymologiquement, le communisme. Mais le terme a malheureusement été détourné à cause des luttes et régimes étatiques issus du marxisme-léninismes (qui ne sont d’ailleurs pas des communismes). Marx (auteur du XIXème) n’était pas un utopiste. Il s’est contenté d’analyser le système capitaliste, d’en dénoncer des méfaits, tout en souscrivant à une sorte de « religion eschatologique » : le « matérialisme historique », selon laquelle l’Histoire aurait un sens et le « prolétariat » devrait prendre le pouvoir. Nous ne nous inscrivons pas dans cette démarche là… Et il est fort dommage que le mot communisme ne renvoie aujourd’hui, pour la plupart des gens, qu’à cet avatar de la pensée occidentale.
Voir socialisme utopique.

(5) à ce propos, nous vous conseillons ce petit texte : La quintessence des Evangiles.

(6) que l’on appelle parfois utopistes en référence à un roman de l’un d’entre eux (Thomas More, XVIème siècle).
Certains auteurs, on pu décrire une organisation sociale, tel Platon au IIIème siècle avant JC, mais surtout, les « socialistes utopistes » du XIXème (Fourier, Cabet, Bellamy, Morris…) D’autres ont plutôt mis l’accent sur la disposition psychologique nécessaire, l’amour, tels le « bouddha » ou le « christ »... (mais leur message semble avoir été noyé dans la pensée magique et religieuse de leur époque).

(7) voir en particulier, sa réussite époustouflante dans le domaine des sciences et techniques… Tout le malheur de notre époque étant que la pensée rationnelle n’est aujourd’hui appliquée qu’au niveau de ces « moyens », ce qui fait de l’homme un danger pour lui-même et l’ensemble de la biosphère terrestre.

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