Humanisme pur

Le bonheur

La question du bonheur suscite souvent une pudeur farouche. Inutile d’en parler, chacun a le sien. Il y en a autant que d’individus. Circulez, il n’y a rien à voir.
De sorte que le bonheur est à toutes les sauces. L’équipe de Trifouilly-les-Dindes remporte le tournoi et les journaux titrent : « le bonheur ». Le bonheur serait la joie. Et pourquoi pas le plaisir, au point où nous en sommes ! A quoi ça sert que les philosophes ils se décarcassent ?
La joie est une émotion localisée dans le temps, le bonheur un état durable.

Mais les concepts ont moins de succès que les images. Le bonheur, ce fut la famille… et ils eurent beaucoup d’enfants. Ce fut le grand Amour... il ne restait plus qu’à l’attendre.
Pour faire courir le monde dans une direction, dites que c’est le bonheur. Et ce fut, « d’en avoir plein nos armoires ».
Alors, au bout d’un moment, les foules sentimentales se doutent de quelque chose. Forcément. Le bonheur serait-il une escroquerie ? Est-ce qu’on nous prendrait pas un peu pour des cons ? Celui qui parle de bonheur est sûrement un bonimenteur, voire un dangereux gourou.
Car le bonheur, toutes les religions, toutes les idéologies l’ont accaparé. Alors, évidemment, on en est revenu. Dès qu’on m’en parle, je sors mon revolver.

Il faut dire qu’un « état durable », dans la béatitude _ et oui, l’imagerie populaire est passée par là_ ça ne semble guère réaliste. Alors c’est sûr, c’est une escroquerie. Le bonheur, ça n’existe pas. C’est nécessairement dans l’au-delà. Dans l’extraordinaire. Seuls quelques fakirs…

Trêve de plaisanterie.
Comme toujours, il y a le délire, le n’importe quoi. Et il y a ceux qui ont réellement quelque chose à dire, alors qu’ils ne disposent que de cette vieille loque mille fois dégénérée, trempée dans toutes les sauces, complice de toutes les turpitudes, qu’est la langue des hommes. Et cette chose que l'on veut vraiment exprimer, elle n’a jamais de nom au départ. Elle est d’abord réelle. Le mot qu’on y met dessus, est forcément détourné de son usage habituel. Mais c’est le seul moyen d’exprimer ce qui est authentique.

Je voudrais parler d’un bonheur. De quelque chose dont l’intensité et la pérennité autorisent cette appellation. Il existe, je l’ai rencontré. Je le partage chaque jour. A priori, ce n’est que mon bonheur. Mais nous sommes plus semblables que l’on voudrait bien le prétendre. Multiples en surface, mais semblables en profondeur.

Ce bonheur là est solide, car il n'est pas construit sur du sable. Il ne repose pas sur du périssable, ou de l'imaginaire. Celui qui fonde son bonheur sur la fortune, le succès de son entreprise, l'amour de ses proches, telle image de la réussite, quelque image que ce soit, s'expose à couler corps et biens.
Un bonheur digne de ce nom ne saurait dépendre de ce qui nous advient, il est entièrement entre nos propres mains. S’il y a, sur cette terre, quelques bonnes nouvelles à annoncer, voici la première : rien ni personne ne peut nous retrancher notre bonheur. La mort, peut-être, diront certains. Mais comme il se vit dans l’instant...
Certes, il ne saurait se réduire à une joie béate, car il serait difficile de l'envisager dans certaines circonstances, en permanence.

L’essentiel réside dans ma façon de penser, dans la gestion de mes propres émotions. Tout le reste est illusion.
Prendre conscience de cela, c’est accéder à une sérénité inexpugnable que l’on se contente dès lors de perfectionner. C’est ne plus offrir de prise à la manipulation, car on n’attend plus rien hors de soi.

Le bonheur passe par la résorption de la peur. Cette dernière engendre une souffrance inutile. A quoi sert de souffrir quand le mal n'est pas là ? Et lorsqu’il est là, la peur l’amplifie, d’anodin, il devient dramatique.

Mais le bonheur ne serait-il que détachement, blindage, immunisation contre la douleur psychologique ?
Un peu triste, tout de même !

Heureusement, il y autre chose. C’est la seconde bonne nouvelle. Il est aussi attachement, ouverture, exposition à la souffrance. Mais ce n’est plus le même attachement ni la même souffrance.
Car lorsque l’on cesse d’avoir peur, d’exiger, de se divertir, transparaît un état sous-jacent. Et cet état est amour. Ce n’est plus le même amour qu’avant. C’est une disposition affective première et sans conditions.
Celui qui a goûté cela, a réalisé la vanité de tout le reste, celui-là a franchi le seuil d’une transformation irréversible. Il a atteint un état qui n’a rien d’extraordinaire, qui n’a rien d’un aboutissement ultime, d’un bien-être béat, mais que l’on peut raisonnablement qualifier de… bonheur. Il ne le cherche plus, il le vit.

Pour beaucoup de personnes, le « sens de la vie », ce qui justifie tout le reste, consiste à faire la fête, à se cultiver, à s’octroyer certains plaisirs, à « consommer ». Par conséquent, les difficultés de tous les jours représentent pour eux une contrariété, le travail un prix à payer, les problèmes dans le monde une angoisse. On comprend dès lors qu’ils rêvent de paradis. Mais ce « sens », en est-il vraiment un ?
On peut aussi percevoir ces « difficultés » comme une partie essentielle de l’existence avec tout son sens et son intérêt ; trouver dans ces « défis », une source de joie.
Je peux voir le sens de ma vie non pas dans le plaisir que j’obtiens mais dans les buts humanistes qui se donnent à moi. Ma joie est alors permanente. Plus besoin de paradis… Sale temps pour les « marchands de bonheur ».

DP (2001)

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