Humanisme pur

Que faire pour être heureux ?

1 Le bonheur

Avant de se demander ce qu’il faut faire pour être heureux, il convient évidemment de s’entendre sur ce que signifie « être heureux ? » Etre heureux correspond à une certaine satisfaction. Cette satisfaction peut être plus on moins intense. On n’est donc pas heureux ou pas, on l’est plus on moins. De plus, être heureux recoupe un grand nombre de choses : jouir d’un plaisir particulier, les plaisirs pouvant être de natures très diverses ; ressentir de la joie ; ne pas souffrir, et il y a diverses formes de souffrances… il y a donc une multitude de bonheurs selon les souffrances dont on est plus ou moins libéré, les plaisirs ou les joies que l’on ressent plus ou moins. Sans compter qu’un même état de bonheur peut être obtenu de différentes façons.
Dans un être humain, se superposent des plaisirs et des souffrances de différentes natures. A priori, parler du bonheur, ou même d’être le plus heureux possible, n’a donc pas vraiment de sens, car cela ne peut être quantifié. Il y a trop de plaisirs et de souffrances difficilement comparables.
Encore ne s’agit-il là que d’une définition du bonheur instantané. La plupart des plaisirs sont contingents et éphémères. Par exemple, lorsque l’on mange, on est vite rassasié, voire dégoûté par ce qui nous a temporairement apporté du plaisir. Le désir constitue un plaisir dont il induit la disparition (en étant satisfait). Inversement, un effort (qui est une petite souffrance) peut entraîner une satisfaction qui nous le rend plus qu’acceptable.

Ainsi défini, le bonheur est variable en qualité, en intensité, en durée et est extrêmement subjectif. On comprend que ce concept ait pu être exploité très diversement.
En outre, il implique souvent une idée de perfection : il s’agit d’un « état de pleine et entière satisfaction ». La perfection n’étant pas de ce monde, on comprend que l’on puisse dire qu’il n’existe pas. Tout est affaire de définition.

Les philosophes distinguent le bonheur de la joie par leur durée : la joie est temporaire, le bonheur durable. A la limite, il serait quelque chose de définitif, d’irréversible.

Il se trouve que je vis un tel « bonheur », donc il existe.
Il s’agit de quelque chose de suffisamment précis, d’utile et de peu connu pour qu’il soit particulièrement bénéfique d’en parler...

Le premier élément qui permet de s’approcher de ce bonheur consiste non pas à augmenter les plaisirs, mais à se libérer de certaines souffrances morales. Cela permet d’atteindre une certaine « sérénité » et de libérer une joie de vivre intense et quasi-permanente.
Donc, pour donner à la question « que faire pour être heureux ? » un sens et un intérêt, on pourrait définir le bonheur comme : un certain niveau de bien-être résultant de l’affranchissement de souffrances morales durables.
Cependant, cette précision de sens pourrait être vue comme une exploitation tendancieuse de la connotation positive du terme « bonheur ». Je pourrais être accusé de vouloir imposer ma définition du bonheur. Accusation contestable : expliciter sa définition pour se faire comprendre n’est pas l’imposer. Il me semble que c’est plutôt en n’explicitant pas ses définitions qu’on les impose (subrépticément)... Cependant, afin d’éviter tout risque de manipulation* involontaire, nous parlerons, pour ce sens précis, de « félicité » (synonyme plus rare et moins galvaudé…)

L’homme est généralement habité d’un certain nombre de souffrances morales diffuses et quasi-permanentes. Par exemple : une anxiété excessive, la peur du manque, un sentiment d’insécurité, la peur de mourir, la peur de déplaire, le remord, l’impatience, la frustration, la colère, l’ennui, les sentiments d’absurdité de la vie, d’inutilité…
Au-delà d’un certain point, ces souffrances morales ne peuvent être satisfaites matériellement : celui qui est porté à l’anxiété trouvera toujours un motif pour la ressentir, la sécurité parfaite ne sera jamais atteinte. Pour celui qui est impatient, les choses n’iront jamais assez vite. Celui qui a tout ce qu’il désire pourra toujours s’ennuyer. Aucun divertissement, ni même aucun acte de foi ne pourront complètement supprimer les sentiments d’inutilité ou d’absurdité de la vie.
Ces souffrances demeureront, tant qu’un certain travail sur soi-même n’aura pas eu lieu, travail permettant de modifier certaines façons de penser, mais aussi de combler certains besoins fondamentaux…

2 L’hédonisme primaire

Or, par une extrapolation simpliste à partir des plaisirs et souffrances les plus visibles, du fait de l’obnubilation exercée par les besoins et aspirations à court terme, la plupart des hommes privilégient les solutions matérielles, l’action sur leur environnement extérieur.
Ces aspirations prennent des formes très diverses : ressentir du plaisir, éviter une gène, se divertir, s'affirmer, s'intégrer, satisfaire sa curiosité, être aimé etc.
Ces besoins ne sont pas le problème, c'est le recours systèmatique à une action extérieure, sans réflexion sur le long terme, sur soi-même, qui l'est.
Or, on assiste à une quête insatisable de richesse (voir la fortune des plus riches), à une agitation et un divertissement toujours plus grands. Depuis que le progrès technique le permet, la consommation de matière et d’énergie par personne augmente sans cesse. Cela, à cause de cette course effrénée au « bonheur » matériel.

Plus que jamais, nous sommes dans la civilisation de l’éphémère : il faut vivre à cent à l’heure, ne pas se prendre la tête, profiter de la vie, jouir sans entraves etc.
Il est évident que certains besoins à court terme doivent être satisfaits : boire quand on a soif, dormir quand on a sommeil etc. Il n’est pas questions ici de condamner le plaisir en lui-même. Seulement un certain surinvestissement dans le plaisir immédiat, comme s’il était la seule forme de satisfaction envisageable, comme si c’était « le bonheur ». Comme si accumuler des objets pouvait combler un manque d’amour, s’agiter combler un manque de sens.
Non seulement, cette attitude ne fait pas disparaître certaines souffrances intérieures (celles évoquées plus haut), mais elle entraîne des souffrances ultérieures. Ainsi, les ressources matérielles vont finir par manquer (à cause de la sur-exploitation et de la pollution). Ainsi, à cause de la compétition pour ces ressources, abondent les conflits (qu’ils soient internationaux ou intrafamiliaux). Conflits qui, outre qu’ils peuvent occasionner des dégâts par leur violence (blessures, morts, oppressions etc.) altèrent la qualité des rapports humains (il n’y a pas harmonie avec autrui).

Une certaine réflexion permettrait d'éviter cela, mais les hommes réflechissent spontanément à autre chose : comment vaincre l'adversaire, comment gagner de l’argent, comment assurer ma sécurité, comment soulager la misèe, comment fonctionne l’univers… Notre esprit est d'abord tourné vers l'extérieur.

Si cette attitude hédoniste, du fait de son incapacité à combler certains besoins, entraîne l’insatiabilité ; inversement, celui qui a atteint un certain bien-être durable, ne cherche plus systématiquement à fuir la souffrance immédiate ou obtenir le plaisir immédiat. Il ne cherche plus à être le plus heureux possible… la félicité* le comble… Cet homme là est plus libre dans ses choix, autonome, cohérent, capable de surmonter les obstacles et de construire quelque chose de positif.

3 Le secret du bonheur

Le premier élément de réponse à la question : « que faire pour être durablement heureux ? » est donc la dénonciation de l’illusion conduisant à rechercher le « bonheur » hors de soi. En effet, cette recherche ne permet pas, en pratique, d’atteindre un bien-être véritablement satisfaisant et durable.
Bref, l’argent ne fait pas le bonheur, et s’il y contribue, c’est uniquement de façon indirecte, en plaçant l’individu dans des conditions plus favorables pour le trouver. En effet, en ayant un peu d’argent de côté, on est moins préoccupé par sa sécurité et ses besoins élémentaires... Par contre, les consommations qui nous divertissent, nous éloignent de la quête de la félicité… Donc, si l'argent est utilisé pour cela…
Plus généralement, aucun mode de vie, aucun bienfait extérieur, aucun idéal ne « fait le bonheur », ne suffit à apporter une satisfaction pleine et entière de la conscience. Personne d’autre que vous-mêmes ne peut faire votre bonheur (au sens d’un bien-être complet et durable). Pour s’en approcher l’esprit doit prendre de la hauteur, cesser d’être absorbé par le premier désir venu, explorer ses profondeurs.

Le secret du bonheur consiste essentiellement à se débarrasser de certains affects. Et, tout d’abord, à réaliser la puissance de l’esprit sur lui-même (cette liberté qui nous distingue des animaux). Restera ensuite à exercer cette dernière, puis, le cas échéant, à suivre un entraînement approprié, pour modifier progressivement nos conditionnements, certaines habitudes. Car, si prendre conscience de certaines choses donne un avant-goût de la félicité, les faire pénétrer dans l’inconscient permet de la vivre.

Evidemment, pour être motivé, il importe d’abord de comprendre l’intérêt de l’opération.
Pour ce faire, on peut réaliser, par exemple, que le regret ou le remord ne servent à rien, au sens où ils n’apportent aucun plaisir, ni immédiat, ni futur. Ils sont complètement vains. Ne causent que de la souffrance. Or, le regret et le remord sont spontanés, on s’y complait facilement si l’on ne fait pas le constat de leur inutilité et l’effort d’agir sur soi-même. Comment ? En modifiant le cours de ses pensées, en choisissant leur direction.

Souvent, on ne fait pas cet effort car on préfère se figer dans une image de soi : « je suis comme ça ». On se prend ainsi pour un objet inerte, au lieu d’être acteur, créateur de sa vie. C’est plus reposant !
Souvent, on n’y pense même pas : habitués que nous sommes à agir sur l’extérieur, il ne nous vient pas à l’idée d’agir sur l’intérieur.
D’autant qu’agir sur soi-même peut sembler paradoxal : comment peut-on être à la fois sujet et objet ? Ce paradoxe résulte de la simplification exercée par le concept de « moi ». On peut le lever en considérant qu’il y a plusieurs « moi », ou plutôt : plusieurs tendances. Il s’agit ici de faire en sorte que les tendances les plus profondes prennent le pas sur les autres, pour plus de cohérence interne. Il s’agit d’« être soi-même », si je puis me permettre de donner ainsi un sens utile à cette lapalissade.

La complaisance dans le passé n’est pas seule à briller par son inutilité. C’est aussi le cas d’un certain rapport au futur. Et en particulier, de la peur.
Cette dernière est parfois justifiée : lorsqu’un lion me poursuit, par exemple. Mais dans l’immense majorité des cas, elle ne l’est pas. Par exemple, la peur de la mort ne sert à rien en l’absence d’un danger immédiat. Craindre une échéance inéluctable est inutile. C’est la peur qui est souffrance, pas la mort… Diminuer sa peur, quelle qu’elle soit, est un moyen de moins souffrir. La peur de la souffrance s’ajoute à la souffrance, la peur du manque s’ajoute au manque. Ne pas avoir peur n’empêche pas d’agir pour éviter le manque, la souffrance, la mort...
L’illusion qui maintient dans la peur consiste à confondre cette dernière avec son objet : étant focalisé sur celui-ci, on éprouve celle-là et on ne pense pas à agir sur soi-même, sur son propre psychisme. La peur tétanise, aveugle, altère la raison. S’en libérer est donc primordial.

De même, la déception, la frustration sont généralement inutiles.
Eprouver la déception peut être utile dans la mesure où cela dirige notre esprit vers la volonté de résoudre un problème, vers la détermination des causes de notre situation, nous conduisant ainsi à ne pas recommencer les mêmes erreurs. Mais souvent, on s’y complait exagérément, et on n’en tire pas d’avantages. Cela vient sans doute de ce qu’il y a là un plaisir, mais ce dernier est incompatible avec ceux qui résulteraient de l’action. Il maintient dans le malheur.
On retrouve là l’absurdité qu’il y a à se laisser diriger par les plaisirs et les émotions : ils sont trop variables et contradictoires.

De même la colère, l’impatience… sont des souffrances dont la cause essentielle, celle sur laquelle on peut agir efficacement est en nous-mêmes.
De plus, outre la souffrance immédiate qu’ils véhiculent, ces affects peuvent en induire d’autres par les actes qu’ils entraînent. Par exemple, si vous frappez votre ordinateur qui fonctionne mal, il risque de fonctionner encore moins bien. Si vous frappez vos amis, vous risquez de les perdre. L’impatience peut vous conduire à abandonner vos projet ou à les bâcler. Etc.

Mais d’où viennent le regret, la peur, l’impatience, la frustration… ? Ils découlent de l’attachement* ; plus précisément : d’une dépendance* affective vis-à-vis de l’extérieur. La souffrance résulte de la non-correspondance entre ce que l’on veut et ce que l’on voit, entre un monde imaginé et le monde perçu.
Le malheur, c'est que le monde extérieur est trop variable et imprévisible pour correspondre toujours à ce que l'on voudrait. Epictète disait qu’il ne dépend pas de nous, le Bouddha qu’il est « impermanent ».
La solution consiste à chercher la joie et le réconfort en soi-même, à ne pas les faire dépendre de ce qu'il advient hors de soi. Cela peut paraître égoïste, mais débouche précisément sur tout le contraire de l'égoïsme. Car celui qui dépend affectivement de l'extérieur est dans l'attente, la crainte, il a besoin de prendre, et transmet ce qui l’anime : la souffrance. Celui qui trouve en lui-même la joie et le réconfort, peut être véritablement dans le don, et transmet ce qui l’anime : le bonheur.

De même l’ennui ne peut être durablement résorbé que par une action intérieure. Plutôt que vous lamenter sur le caractère ennuyeux d’une tâche ou d’un mode de vie, vous pouvez parfaitement faire en sorte de ne pas éprouver l’ennui, en pratiquant la tâche d’une certaine façon, en orientant vos pensées plus judicieusement. Rien que le fait de rechercher un moyen de ne pas s’ennuyer élimine l’ennui !

On pourrait pareillement dénoncer l’utilité très relative de la honte, de la culpabilisation… et décider de les contrôler, de les résorber par action directe sur son propre psychisme.

Ces phénomènes psychologiques que sont la colère, l’anxiété, l’ennui etc. découlent de notre condition animale. Dans la nature, ils sont utiles car ils nous donnent des forces pour nous défendre, fuir, innover... ce qui explique qu’ils aient été sélectionnés en nous (et chez de nombreux animaux). Mais en dehors de conditions précises et rares, ils sont maintenant inadaptés et à l’origine de souffrances durables.
Heureusement, la nature nous a donné la capacité d’analyser, de s’observer, de se contrôler. Ainsi, si l’homme immature est globalement moins heureux que l’animal, l’homme sage l’est plus…
Accéder à la félicité* n’est pas immédiat, mais possible et très bénéfique. Apprendre à être heureux pourrait être la première mission de l’éducation.

On peut être tenté de poursuivre sur la voie du contrôle de soi en l’appliquant aux sentiments d’inutilité et de manque de sens : Il suffirait de faire en sorte de ne pas éprouver ces sentiments et la question serait réglée. Il suffirait de faire en sorte de ne pas être gêné par l’absurdité (éventuelle) de notre vie. Reste que cette capacité, cette puissance de l’esprit sur lui-même trouve là ses limites. Se résoudre à faire toute sa vie quelque chose d’inutile en se disant que ce n’est pas grave n’est pas aussi facile que résorber une peur, une honte ou une colère… Difficile, concrètement, d’accéder à une satisfaction pleine et entière en refoulant ces besoins*…

Pour ce qui est du sens de la vie, il est plus efficace d’étudier la question en elle-même, qu’essayer de l’oublier. Elle sera réglée en y répondant ou en réalisant vraiment son absurdité…
Pour ce qui est des sentiments d’inutilité, d’incohérence, nous verrons que les résorber en soi-même n’est pas nécessaire, car les satisfaire ne pose pas de problèmes insurmontables… et aurait plutôt tendance à en résoudre…

Le but n’est évidemment pas de se contrôler pour se contrôler, il est de savoir quand il est plus efficace d’agir sur soi, et quand il est plus efficace d’agir sur l’extérieur.
Il est évident que la voie du contrôle de soi a ses limites ; que, par exemple, un environnement agréable est quelque chose de généralement bénéfique. Simplement, la recherche d’un tel environnement est souvent une mauvaise réponse à un vrai problème dont la solution est ailleurs, à l’intérieur.

Suite: la question du sens

* Définition donnée ici

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