Humanisme pur

Que faire ?

Lorsque l’on goûte aux plaisirs de l’existence, aux joies de la relaxation ou du divertissement, la question « que faire ? » ne se pose pas.
On fait. On est immergé dans l’action ou le repos. Aucun problème.
A la limite, on pourrait vivre sans se la poser. Papillonner d’un désir à l’autre, dériver d’une souffrance à l’autre.

On se la pose par contre, si l’on a un objectif qui nécessite un travail complexe. Il y a forcément des choix. Supposons, par exemple, que je doive construire un pont.
Quelle technique de construction adopter ? Cela dépendra de l’usage auquel l’ouvrage est destiné. Est-ce pour une durée de quelques mois ? de quelques décennies ? Des véhicules lourds doivent-ils pouvoir passer ? Quels sont les matériaux disponibles localement ? Jusqu’où approfondire ma connaissance d’une technique donnée ? De combien de temps est-ce que je dispose ?

La question gagne en acuité lorsqu’il y a une échéance, lorsque le temps dont on dispose n’est pas infini. Certes, on peut toujours trouver un intérêt à tout ce que l’on fait. Mais le gain obtenu justifie-t-il le temps consommé ? Il faut faire des choix.
On regrette alors l’insouciance de l’enfant qui se laisse guider par ses passions du moment, et n’a pas d’objectif précis. On rêve d’un monde où le temps n’existerait pas. Mais c’est qu’alors, on a cédé à l’impatience, à l’angoisse, au perfectionnisme.

La question « que faire ? », c’est aussi la possibilité de prendre de la hauteur. De remettre en cause, de plus en plus de choses.
Par exemple, avant de me poser plein de questions sur la meilleure manière de construire le pont, je peux m’interroger sur l’opportunité de cette entreprise. Cela m’évitera de perdre de l’énergie dans des questions qui s’avéreraient caduques. Peut-être, le passage à gué est-il suffisant ? Peut-être ne suis-je pas la personne la plus appropriée pour cette tâche ? Est-ce que cette activité m’intéresse vraiment ? Au fait, qu’est-ce qui m’intéresse vraiment ? Que puis-je faire de mieux de ma vie ?

Il faut reconnaître que ces dernières questions apparemment élémentaires, ne sont pas généralement les premières que l’on se pose, car nous sommes entraînés, en quelque sorte, par nos désirs du moment, les évènements qui affectent notre vie, les contraintes inhérentes au système économique, la pensée dominante de notre entourage. C’est en s’extrayant délibérément de l’action, en goûtant aux joies du repos solitaire, en faisant abstraction pour un temps, des contraintes morales et matérielles, en prenant la hauteur suffisante, que l’on peut aborder valablement ces dernières interrogations.

Et pourtant, « que faire de ma vie ? » est bien la question que l’on devrait se poser en premier. C’est la question incontournable pour qui franchit le seuil du royau­me de la liberté. La réponse n’est pas immédiate. Nos aspirations sont multiples, tout n'est pas très clair a priori.
Chacun devrait s’imaginer seul, sans attaches, sans contraintes matérielles, immensément riche, et, dans cette hypothèse, méditer cette question : « qu’est-ce que je fais du reste de ma vie ? »

Cette question porte à la métaphysique. Que faisons-nous sur cette terre ? A-t-on une mission à remplir ? L’univers a-t-il un sens ? Etc.

S’il a un sens, comment le connaître ? Quel est-il ?
S’il n’en a pas, alors, je peux faire n’importe quoi ? Tout est équivalent ? Mais n’est-ce pas angoissant ? Vertige de la liberté. Amertume de l’absurdité.
S’il n’en a pas, alors, il n’y a qu’à se faire plaisir. Mais pourquoi, après tout ? Ou plutôt : le bonheur est-il dans le plaisir ? Le bonheur est-il désirable ? Ah, humaine condition !

Serions-nous des anges perdus en terre inconnue, amnésiques de notre passé, de notre origine et de notre destinée ?
Intuition d’une raison d’être au monde, que l'on ignore. Là est sans doute l’origine des religions.
Le problème est là. La nature de cette destinée. Nous l’ignorons. Nulle preuve. L’intuition de quelque chose ne prouve pas son existence. Elle peut être le fruit d’un désir, le résultat d’une habitude.
Devons-nous nous en remettre à la foi ? Mais peut-on choisir honnêtement de croire en tel conte de fée plutôt qu’en tel autre ou en aucun ? Est-ce vraiment nécessaire ?

Si tout est équivalent, si l’on peut faire n’importe quoi, alors cultivons notre jardin. Alors, l’ascension du « que faire ? » était de trop. Restons délibérément dans l’animalité. Ne nous posons pas de questions. N’exigeons pas d’être autre chose que des feuilles mortes ballottées au gré des courants d’air.
Amertume, là aussi. Car nous aspirions à quelque chose. Nous trouvions un réconfort, dans ce début de mise en ordre.

Si l’essentiel nous échappe à ce point, à quoi bon s’en préoccuper. Cessons de parler de quoi que ce soit qui échappe au quotidien, à l’anodin.

Mais entre le sceptique qui se refuse à tout débat et le crédule qui gobe sans broncher la première métaphysique venue, il y a peut-être un moyen terme possible ?

Le sentiment d’absurdité de l’existence, la perception de la vanité des choses qui nous angoissent ordinairement, est aussi libérateur. Il est source de sérénité. Car il permet de relativiser.
On peut certes craindre que le cadeau ne soit empoisonné, le remède pire que le mal. Car on ne voit pas de boussole à l’horizon. Mais pourquoi faudrait-il une boussole à l’horizon ? Pourquoi devrions nous trouver hors de nous, ce qui est censé nous déterminer ?

Pourquoi ne pas goûter à la joie d’être, sans désir aucun, sans boussole aucune. Alors, on découvre un plaisir subtil. Plus subtil que tous les autres. Plus inébranlable, surtout. En se libérant de la peur, de l’attachement, en s’abandonnant à la joie de vivre, on le découvre. En se laissant pénétré par le monde autour de nous, on le constate. Comme si l’absence de dogmes le révélait dans toute sa splendeur.
L’amour sans objet a priori, et sans condition.
L’amour de ses proches et de ses lointains, l’amour des êtres. Celui qui est notre nature vierge de peurs, libérée de la tyrannie du désir ou de la contrainte.

Et si on le prenait comme boussole ?
Et s’il était la clef ultime pour répondre à la question « que faire ? », à la question première ?

L’humanisme, religion fondée sur notre nature.
Cultiver son jardin, certes. Mais pas n’importe lequel. Celui qui s’impose à notre humanité. Ni minuscule, ni astronomique. Un jardin de la taille de notre planète, par exemple.
Alors oui, je veux cultiver mon jardin. Mais ce jardin ne m’appartient pas. Désormais, je n’aspire plus aux étoiles, ni ne me replie sur mon nombril. Un petit jardin, rien qu’à soi, ce serait pourtant plus tranquille. Ce serait peut-être une tâche plus raisonnable. Mais quel intérêt ?

La religion fait de notre monde, une vallée de larmes, un lieu de passage, une île de naufrage, une illusion passagère, l’essentiel se trouverait ailleurs. Mais tout cela est objet de foi.
L’humanisme en fait une modeste demeure. Que, modestement, faute de mieux, nous sommes tentés d’entretenir convenablement.
Quant à l’animalité, à l’égoïsme primaire, il n’en fait rien, car il n’y pense pas. Dans les faits, il le détruit, il nous détruit.

DP (2001)

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