Humanisme pur

Un sens à la vie ?

Voir la première partie: Que faire pour être heureux ?

4 Le sens de la vie

Par « vie », nous entendons généralement, dans cette expression, l’existence, l’univers. Par « sens », nous exprimons quelque chose nous indiquant ce que l’on doit faire dans l’absolu. Ainsi, connaître le sens de la vie me permettrait de savoir ce que je dois faire. Inutile de faire quoi que ce soit tant que je ne le connais pas. Ou alors, je risquerais de ne pas emprunter la bonne direction. Si je renonce à chercher ce sens, je n’agis plus que pour oublier, je me résous à vivre avec une souffrance diffuse, une insatisfaction fondamentale, un sentiment d’absurdité.

Or, qu’est-ce que l’univers ? C’est fondamentalement quelque chose qui résulte de mes observations, de mes organes des sens, ainsi que de la recherche d’une certaine compréhensibilité de l’ensemble de mes perceptions.
C’est ce qui est l’objet de la science. La science n’ayant qu’une vocation descriptive : rendre compte de mes perceptions passées, et prédictive : dégager des lois permettant de prévoir mes perceptions futures.
Ainsi, la connaissance scientifique ou technique, si elle m’aide à faire des choix dans le relatif, n’est absolument pas de nature à déterminer mes choix absolus. Si elle m’indique dans quelle direction trouver de la nourriture, elle ne me dit pas si je dois aller la chercher (car je n’ai pas forcément envie de vivre)… Elle ne m’indique pas ce que je dois faire dans l’absolu (si je dois vivre ou mourir, par exemple). Ainsi en est-il de tout ce qui ne concerne que mes perceptions, ainsi en est-il, donc, de l’existence, de la vie, de l’univers. La nature de l'univers ne peut au mieux que me renseigner sur des contraintes devant être prises en compte pour parvenir à mes fins, pas sur mes fins premières.
Même si la science découvrait l’existence d’un père bienveillant ou autoritaire, situé quelque part par-delà les galaxies, à l’œuvre en deçà d’un « big bang », rien ne m’obligerait à suivre ses ordres ou ses conseils… si ce n’est ma confiance en lui ou la crainte de représailles. Mais rien ne m’oblige à avoir confiance ou à craindre… Je suis libre… La source première de mes actions est en moi-même.
Donc, si l’indication de mes fins premières ne se trouve pas dans l’univers, elle existe cependant. Il y a bien quelque chose qui est de nature à m’indiquer cela : ce sont mes tendances profondes, accessibles par l’introspection et la réflexion sur soi... Eureka !

Parler du sens de l’univers, sous-entend que ce dernier pourrait m’indiquer la nature de mes fins premières. Or, c’est fondamentalement impossible d’après ce qui vient d’être dit. La question du sens de la vie est donc non recevable parce qu’absurde…

Dire que le sens de la vie est de se reproduire, par exemple, revient simplement à en décrire une caractéristique (de la vie au sens biologique, ici), et ne saurait aucunement me suggérer de me reproduire, car cela reviendrait à imiter quelque chose d’existant sans s’être interroger sur les raisons d’une telle imitation.

Mais pourquoi, en dépit de son absurdité, cette question est-elle si souvent posée, voire « résolue » ?
Probablement parce qu’elle exprime un besoin humain plus ou moins inconscient : se soumettre à un maître, à une hiérarchie : trouver hors de soi l’indication de ce que l’on doit faire. C’est le besoin d’hétéronomie (le contraire de l’autonomie). Ce dernier n’est pas fondamental au sens où, même s’il peut être intense, il est aisé de le dépasser par la maîtrise de soi…
Il explique manifestement l’abondance des structures politiques de type autoritaire dans l’Histoire (comme l’avait analysé La Boétie).
Il explique manifestement les religions et de nombreuses philosophies...
Là encore, on cherche hors de soi, ce que l'on gagnerait à découvrir en soi-même…

5 Un sens à sa vie

La question du sens de la vie, qui pèche donc par une objectivation intempestive, ne doit pas être confondue avec la question du sens de sa vie, tout à fait recevable rationnellement, elle, et correspondant à un besoin fondamental, source d’un bonheur durable.

Donner un sens à ma vie, c’est lui donner plus de cohérence, c’est lier entre elles mes différentes actions. Ainsi, celui qui va de désir en désir, se laissant ballotter par des stimuli extérieurs, l’hédoniste primaire évoqué plus haut, a une vie dépourvue de sens.
Pour donner un sens à sa vie, il faut se donner un objectif auquel se consacrer, qui occupe l’essentiel de son existence. Cela est relativement aisé. Ainsi, le mathématicien Euler a passé sa vie à étudier le triangle. Napoléon a consacré la sienne à acquérir du pouvoir. Etc.

Se poser la question de savoir s’il faut donner un sens à sa vie, revient à tomber dans le travers précédemment dénoncé : pourquoi y aurait-il un « il faut » ?… Pourquoi y aurait-il une autorité supérieure ? S’il y a un « il faut » ici, c’est d’un « il faut » technique et relatif qu’il s’agit : il faut donner un sens à sa vie pour satisfaire un certain besoin psychologique que nous avons, et contribuer ainsi à notre pleine et entière satisfaction, à notre bonheur.

Mais tout objectif est-il pleinement satisfaisant (psychologiquement) ? Est-il humainement possible d’être pleinement heureux en se donnant pour objectif de compter les cailloux du lit du Rhône ? Tâche ayant pourtant de quoi occuper toute une vie…
Manifestement, pour satisfaire son besoin d’être utile, donner à sa vie un sens quelconque ne suffit pas. Il y a un autre besoin en nous, sans doute plus important, qu’il faut satisfaire… Un besoin moins intellectuel, plus affectif.

Parler d’ « utilité » est insuffisant : utile à quoi ? Par « besoin d’utilité », nous sous-entendons généralement ici : utilité aux autres, et plus précisément : à une société dont on ferait partie. Mais il ne s’agit pas pour autant du besoin d’hétéronomie*, qui, à lui seul, peut nous faire servir une société quelque peu… hiérarchisée.
Il s’agit ici d’un impératif de solidarité, d’un mouvement de compassion (susceptible, au contraire, de nous faire dénoncer une société trop autoritaire…) Il s’agit de tendances humaines qui font que l’on ne parvient pas vraiment à être indifférent à la souffrance d’autrui, que l’on est capable de partager son bien-être et que l’on aspire à vivre plus en harmonie avec lui. Les philosophes les regroupent sous le terme « amour ».

Or, si ces tendances sont difficiles à « dépasser » par la force de son esprit, il est par contre aisé de les satisfaire sans que cela n’induise aucune conséquence nuisible, au contraire !
Cette satisfaction du besoin d’aimer est même le secret ultime de la félicité*, ce qui la parachève. Car si cette dernière implique la suppression des souffrances morales majeures, elle se traduit également par un bien-être positif, une joie permanente. Une joie qui n’a pas besoin d’un événement extérieur pour être activée mais qui est disponible à volonté. Une joie, qui ne s’use pas quand on s’en sert, mais au contraire, se renforce !

Le sens le plus satisfaisant que l’on puisse donner à sa vie consiste à œuvrer pour le bien-être de tous, ceci coïncidant donc avec notre propre bien-être, celui de la félicité. Pouvait-on rêver meilleure nouvelle ?

6 Un amour universel

L’amour* se cultive en en prenant conscience, en soi-même, mais aussi en étant attentif aux autres, à ce qui nous entoure.
Il semble qu’il soit là, au fond de nous, mais qu’il ne se manifeste généralement que très partiellement à cause d’affects de souffrance permanente et de conditionnements négatifs qui l’étouffent plus ou moins.

Il semble également qu’il faille prendre garde à une certaine polysémie* :
Nous parlons ici, bien entendu, de l’amour-bienveillance, qui est un élan intérieur nous portant à l’harmonie avec autrui. Cet élan découle d’un état intérieur et se caractérise par un type de comportement, de rapport à autrui. Il peut donc être indépendant d’autrui et par conséquent, universel. Il le devient d’ailleurs naturellement lorsqu’on a pris conscience de cette possibilité d’éprouver de la bienveillance envers tout le monde : pourquoi se priver du bonheur d’aimer ? Il ne saurait induire d’attachement* ou de discrimination. Il ne génère que du positif, de l’harmonie.
Or, le mot amour est également utilisé au sens d’amour-appréciation : au sens où l’on tire un plaisir particulier de propriétés que possède l’objet de notre « amour » ou d’une relation que nous avons avec lui. Par exemple, j’aime le chocolat par ce que c’est bon, j’aime mon petit ami parce qu’il est beau et gentil etc.
Il s’agit là de deux concepts clairement distincts. Le fait que souvent, nous avons tendance à éprouver de la bienveillance envers ceux que l’on apprécie ne doit pas nous faire confondre ces deux sens du mot amour…
Il y a, de plus, un troisième sens correspondant à un type de relation particulièrement affectueux ou impliquant des activités à caractère sexuel.

De cette polysémie* résulte de fréquents amalgames qui nous font dire par exemple que l’on ne peut pas « aimer » tout le monde. Comme si, aimer Hitler au sens de l’amour-bienveillance, revenait à faire preuve d’indulgence pour ce qu’il a fait, à l’embrasser chaleureusement voire à l’aider à accomplir ses desseins !
L’amour universel n’a rien à voir avec cela. Il rime avec force et non pas avec faiblesse. C’est une disposition positive envers autrui, résultant de l’abolition de tout sentiment négatif, de toute considération inter-personnelle d’origine égocentrique, de toute confusion entre la personne et ses caractéristiques à un instant donné. C’est un certain respect pour tous les êtres, conduisant à la recherche du bien commun. C’est mon bonheur qui déborde spontanément de moi-même.
Au sens de l’amour appréciation, il y a ceux que l’on aime, ceux qui nous indiffèrent et ceux qui nous répugnent. Cet amour ne saurait évidemment pas être universel !

Que l’on soit tenté de fréquenter plutôt ceux que l’on apprécie se comprend très bien dans le cadre de l’hédonisme (où cet amour se situe). Mais pourquoi les aider plus particulièrement et gêner ceux qui nous répugnent ? Pourquoi haïr ? On voit bien à quel point un tel comportement, n’a d’autre fondement qu’un égocentrisme absurde, qui engendre divisions et souffrances. Il suffit d’y réfléchir, d’exercer sa raison*…
Ce comportement n’est jamais qu’une manifestation de notre dépendance* au monde extérieur, de notre propre manque d’autonomie affective. En vouloir à celui qui nous a fait du mal est la marque de notre vide intérieur, qui engendre le malheur. Il suffirait de combler ce vide, on cesserait d’attendre quoi que ce soit d’autrui et la haine n’aurait plus de raisons d’être.

Il ne faut pas confondre un amour inconditionnel au sens où il ne dépend pas de la relation entre soi et l’objet de son amour, avec un amour inconditionnel au sens où il nous porte à tout accepter de l’être aimé. La première inconditionnalité est celle qui rend l’amour-bienveillance universel, la seconde est un aveuglement dommageable concernant essentiellement l’amour-appréciation. Que penser d’une culture qui valoriserait un tel aveuglement ?

7 L’égoïsme

Les considérations qui précèdent semblent suggérer de préférer le bien à l’égoïsme. Mais il convient d’abord de savoir de quoi on parle : « qu’est-ce que l’égoïsme ? », et « qu’est-ce que le bien ? »

Egoïsme : « attachement excessif à soi-même qui fait que l’on recherche exclusivement son propre plaisir, son intérêt personnel » (Robert)
A priori, ce n’est pas à une personne ou à un objet, que l’on est attaché, c’est à une situation. Par « attachement à une personne » on signifie implicitement attachement à son existence ou à sa proximité (qui sont des situations). La proximité de soi-même étant acquise, l’attachement à soi devrait signifier que l’on est attaché à sa propre survie. Le début de cette définition n’est donc pas très satisfaisant, d’autant que l’adjectif « excessif » est très subjectif : « excessif » par rapport à quoi ? au nom de quelle morale ?
D’ailleurs, souvent, dans la pensée de tous les jours, seule la fin de cette définition est retenue : est considéré comme égoïste, celui qui recherche son plaisir ou son intérêt personnel.

Faire le bien inspiré par l’amour* dont nous venons de parler serait donc égoïste puisque cela correspond à notre propre bonheur (qui est finalement notre intérêt personnel…) ! Si l’égoïsme est compris dans ce sens, il faut être clair : soyons égoïstes ! Toute l’affaire consisterait à l’être intelligemment : à déterminer correctement ce qui est notre intérêt personnel.
Or, le mot égoïsme est connoté péjorativement. Il en résulte donc que servir son intérêt n’est pas « bien », et que a contrario, il est bien vu de se sacrifier… de souffrir pour satisfaire un éventuel intérêt d’autrui. La conjonction de cette définition et de cette connotation est très dommageable : elle éloigne l’homme de son propre bonheur par souci de son image, ou bien le pousse à l’hédonisme* primaire par souci de son bonheur ; elle induit des perversions comme le martyrisme (« après tout ce que j’ai fait pour toi… ») ou maintient dans l’illusion que celui qui ne nous aide pas est fautif (« tu ne penses qu’à ton intérêt ! »)…
Arrêtons le massacre en proclamant haut et fort cette vérité : l’intérêt de chacun, loin de s’opposer à celui des autres, y contribue… à condition toutefois de l’avoir intelligemment déterminé ; à condition qu’il se traduise par à ce bien-être profond et durable qu’est la félicité*, et non pas par une gratification immédiate source d’insatisfactions ultérieures. Le problème ne serait donc pas l’égoïsme mais la bêtise…
Inversement, mon mal-être tend à faire celui des autres… car le mal-être comme le bien-être tendent à se transmettre directement.

Le Larousse ajoute cependant une précision salvatrice (tout en restant dans l’illusion que nous dénonçons ici) :
Egoïsme : « attachement excessif qu’une personne porte à elle-même, à ses intérêts, au dépend de ceux des autres ».
Ainsi, pour qu’il y ait égoïsme, il faut que j’agisse au dépend de l’intérêt d’autrui. Donc, aimer (au sens de bienveillance) ne serait plus égoïste, au contraire.
Mais le « des autres » reste vague. Par exemple, si je sauve des juifs, j’agis au dépend de l’intérêt des nazis… je serais donc égoïste : je satisferais ma petite compassion personnelle au lieu de l’intérêt national ! Le concept semble donc très relatif. On reste dans l’idée d’une opposition entre son intérêt et celui des autres, entre égoïsme et altruisme. Chacun est là avec son « intérêt », et reproche aux autres de servir le leur lorsqu’ils ne servent pas le sien.
Or, une éthique qui prêche l’altruisme est peu efficace, car il n’est pas dans notre nature de nous sacrifier pour le premier venu.

La question pertinente n’est donc pas « faut-il être égoïste ou faire le bien ? », mais : « qu’est-ce que le bien ? ». Elle n’est pas « faut-il servir son intérêt ou celui des autres ? » mais uniquement : « quel est mon intérêt ? »

Une définition plus satisfaisante du mot égoïsme, en accord avec sa connotation, pourrait être : « tendance à poursuivre des objectifs incompatibles avec ceux d'autrui ». Cette incompatibilité définissant l'état de concurrence. Car si, quoi que je fasse, je pourrais toujours trouver une personne dont l’objectif est incompatible avec le mien, il est des objectifs, qui, par nature, nous opposent. Ainsi, la quête de la notoriété, de la richesse matérielle, du pouvoir, du plaisir immédiat par consommation de « biens » et « services », de tout ce qui ne peut être partagé indéfiniment, génère la nuisance mutuelle (entre les personnes ayant la même quête) et donc la rivalité.
Or, il y a effectivement des penchants en nous qui entraînent la concurrence. Plutôt que parler d'égoïsme, il serait plus judicieux de parler d'avidité*, par exemple, ou de dépendance*… qui sont les causes objectives de la concurrence.
Si l’amour* nous réunit, la dépendance nous oppose. L’amour vient d’un bonheur et le répand. La dépendance vient d’un malheur et le répand.

L’égoïsme, dans ce « mauvais » sens du terme, est typique de l’hédonisme primaire, qui est l’éthique dominante de l’humanité.
Ethique dominante y compris dans les milieux religieux et moralistes du passé, d’ailleurs. Car en effet, la morale est généralement plus proclamée que pratiquée. Pratiquée en public, afin de gagner l’estime d’autrui, ou d’échapper à la honte ou à la réprobation, mais pas en privé… L’hédonisme primaire est l’éthique pratiquée de fait (même si elle n’est pas toujours reconnue comme telle verbalement).
La félicité* réside dans la façon d’être, l’illusion réside dans l’avoir : avoir une belle maison, une belle famille, un bon métier, une bonne image de soi, un beau corps, un bon karma, son salut etc.
Les concepts fallacieux d’égoïsme et d’intérêt font croire que le principal problème est l’attachement à soi (qui est une absurdité), alors que c’est l’attachement à ce que l’on a ou voudrait avoir. Ce que l’on devrait dénoncer n’est pas l’égoïsme : se soucier de soi est salutaire, mais bien la possessivité et l’avidité, la dépendance au non-soi. Ce qu’Eric Fromm appelle « le mode avoir » :

« Le mode être ne peut apparaître que dans la mesure où nous faisons décroître le mode avoir (qui est le non-être), c'est-à-dire dans la mesure où nous cessons de trouver notre sécurité et notre identité en nous accrochant à ce que nous avons (…)
Mais la plupart des gens estiment qu'il est trop difficile d'abandonner leur orientation "avoir"; toute tentative dans ce sens éveille chez eux une angoisse intense, et ils ont l'impression de n'être plus du tout en sécurité, comme si, ne sachant pas nager, ils étaient précipités dans l'océan. Ils ne savent pas qu'à partir du moment où ils ont renoncé à la béquille de la propriété, ils peuvent commencer à se servir de leurs propres forces et se mettre à marcher tout seuls. »

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