Humanisme pur

Comment mettre fin à la délinquance ?

D'abord, il faut arrêter les prêches et donner à chaque enfant au moins un parent dont la vie et le comportement incarnent les valeurs qu'il souhaite transmettre. Or, force est de constater combien nous en sommes loin : nombre d'enfants doivent aujourd'hui se contenter de parents sans emploi, sans instruction et sans perspectives. Notre société est frileuse et répressive. Elle méprise ses exclus, érige l'argent en valeur suprême et, en guise de distraction, déverse à flots continus des spectacles d'une violence inouïe.

Comme l'ont découvert les sociologues et ethnologues, toute tribu qui dépasse deux cents membres environ cesse de bien fonctionner. De fait, certaines tribus ayant franchi ce seuil finissent par se scinder en deux dans un mouvement qui n'est pas sans rappeler l'évolution d'une ruche. En effet, lorsque celle-ci atteint un niveau déterminé de surpopulation, les abeilles excédentaires se regroupent autour d'une nouvelle reine et essaime ailleurs.
Quel rapport avec la délinquance et l'éducation des enfants ? Notre société ne ressemble en rien à une société tribale, environnement qui, pourtant, convient génétiquement à l'homme. L'avantage décisif de la tribu sur la société moderne est qu'elle est comme un organisme vivant doté d'une structure cohérente. Chaque membre influence les autres par son action ; chaque membre fait partie intégrante du tout.
L'identité de l'individu dépendant par ailleurs de la tribu, le bannissement est considéré comme la pire des punitions qu'on puisse infliger à un membre dévoyé. Dans une telle structure, il n'y a ni prisons ni chaises électriques. Il suffit de menacer l'individu de la perte possible d'identité pour le convaincre de respecter les normes collectives. De la tribu, l'individu reçoit estime, protection et sécurité, en échange de quoi il contribue au bien-être général selon ses capacités. Dans la société tribale, la délinquance n'a aucune fonction.

On mesure toute la différence avec la société contemporaine, qui ne connaît plus ni la sécurité territoriale ni la vie communautaire typique de la tribu traditionnelle. Aujourd'hui, des couches entières de notre société subissent une exclusion à peine plus supportable que le bannissement. Quels crimes leur ont valu ce sort injuste ? Ils sont exclus parce qu'ils sont pauvres ou peu instruits, parce qu'ils sont nés à tel ou tel endroit ou en raison de la couleur de leur peau. Punissez une enfant qui n'a rien fait de mal et vous créerez la névrose d'où surgit l'essentiel de la délinquance. Punissez de secteurs entiers de la population et cette névrose gagnera la société tout entière.
A la place de la tribu vivante, désormais détruite, on trouve donc un monstre tentaculaire fait non pas de deux cents mais, dans le cas des Etats-Unis, de deux cent cinquante millions d'âmes. Là, des bureaucraties encroûtées et inanimées règnent sans partage. Elles ne connaissent pas l'individu ; elles ne connaissent rien du tout. La pensée, le sentiment et surtout la compassion leur sont totalement étrangers. Elles ont l'inhumanité des machines mais, contrairement à celles-ci, sont impossibles à diriger. Tels des glaciers, elles se déplacent sous leur propre poids, écrasant tout sur leur chemin. Le diable de la Bible doit au moins connaître le bien afin de pouvoir embrasser le mal, et il remplit une mission positive dans la mesure où il incarne l'antithèse qui permet de définir clairement le bien. Mais la bureaucratie se situe au-delà du bien et du mal, car elle ne peut les comprendre ni, pis encore, ne s'en soucie.
Aujourd'hui, cette structure détient le pouvoir, dans l'Etat ainsi que dans l'entreprise. Ce mal absolu consacre la mort de la tribu et l'aliénation définitive de tous ses anciens membres, c'est-à-dire de nous. Il en résulte la répression de larges franges de la population, qui subissent l'indifférence de cette tribu morte, mais qui la confondent avec la haine (alors que la bureaucratie ne peut ni aimer ni haïr). Ainsi, les membres de notre société n'ont plus leur foyer tribal, leur territoire. Nous nous trouvons privés des moyens de combattre l'oligarchie politico-économiqe qui nous exploite, qui étouffe la créativité et détruit l'environnement naturel. Nous ne pouvons nous faire entendre, puisque les oreilles de la tribu morte ne perçoivent que le tintement de l'argent. Nous croyons au mythe de la liberté, alors que nous subissons la violence qui nous est imposée. Nous sommes pétris du mythe de l'amour, alors que nous n'en voyons guerre la couleur. Nous exaltons le mythe de la paix, alors que la tribu morte dilapide nos ressources afin de faire la guerre à nos semblables, à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières.

Dans cette société de la tribu morte, la catégorie des sans-abris ne se limite pas aux seuls individus qui errent dans les rues, les yeux vides et les vêtements en lambeaux. Désormais, nous sommes tous des sans domicile fixe. Nous ne faisons plus partie d'une tribu capable de nous fournir stabilité et sécurité. Le " télévangéliste " exploite la solitude et le désespoir ambiants en promettant à tous ceux qui lui donnent leur argent l'intégration dans sa tribu. L'animateur de télévision poursuit de son côté cette œuvre de mystification : il accueille pendant quelques instants une ou deux victimes sur le plateau afin de créer un mirage de participation et de compassion collectives, tout en profitant de l'occasion, cela va sans dire, pour faire vendre des masses de camelote. Certains, dans leur recherche d'une tribu de substitution, essaient de s'identifier à telle où telle équipe sportive. Hélas ! Elle n'a rien d'une tribu chaleureuse ; c'est une grosse entreprise commerciale qui ne voit en ses partisans que des consommateurs.
Ces innocents qui subissent les punitions les plus dures _ les exclus_ sont les plus faibles, les moins fortunés, les plus nécessiteux. Leurs enfants sont les protagonistes de la chronique judiciaire. Quand on apprend que ces êtres qui grandissent dans le dénuement et le désespoir versent dans la délinquance, on ne propose pas de mettre fin à leur calvaire, aux crimes de la société à leur encontre. On réclame de nouvelles punitions, de nouvelles prisons. Il ne faut pas dès lors s'étonner que ces enfants réagissent avec une hargne et une violence équivalente contre le système social, mais aussi et surtout contre eux-mêmes. Tel est l'effet du miroir déformant que leur présente une société malsaine.
Gerry Spence - 1998  (avocat américain)

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