Humanisme pur

La quintessence de l'évangile

Les évangiles sont des récits de la vie de Jésus (au nombre de quatre) par des chrétiens du deuxième siècle. Ils font partie de la bible. Le mot « évangile » vient du grec « euaggelion », qui signifie « bonne nouvelle ».

Dans ces écrits, il est souvent fait allusion à une notion subtile, qui apparaît sous les expressions « règne de Dieu », « royaume de Dieu », « les cieux », « le salut », « la vie éternelle » voire simplement « le royaume » ou « la vie ». Il ne s’agit pas forcément de quelque chose de magique, reporté dans un avenir lointain. « Eternel » est une traduction approximative d’un terme grec qui ne précise pas tellement la durée, mais plutôt une qualité profonde. Il pourrait donc s’agir d’une certaine façon d’être… différente de l’ordinaire, mais néanmoins tapie au fond de chacun de nous.
Cette interprétation est étayée par ce passage :
Luc17.20
Les pharisiens lui demandèrent : « quand donc vient le règne de Dieu ? » Il leur répondit : « le règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. On ne dira pas : "le voici" ou "le voilà". En effet, le règne de Dieu est parmi vous. »

Et quelle est donc cette façon d’être, que prêche sans répit le prophète Jésus ?
Une façon d’être est difficile à décrire, car cela appartient à la subjectivité. Mais on peut l’appréhender par ses « fruits », le comportement qui lui correspond. De plus, comme l’a montré la psychologie moderne, ce n’est pas seulement l’attitude intérieure qui détermine le comportement, c’est aussi notre comportement qui imprime en nous une certaine attitude.
Ainsi, les nombreuses prescriptions des évangiles répondent sans ambiguïté à la question « qu’est-ce que le royaume ? ».

En voici quelques unes glanées dans l’évangile selon St Luc (on retrouve bien sûr leur équivalent dans les trois autres).
3.10
Les foules demandaient à Jean : « que nous faut-il donc faire ? »
Il leur répondait : « si quelqu’un a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; si quelqu’un a de quoi manger, qu’il fasse de même. »

6.29-30
A qui te prend ton manteau, ne refuse pas non plus ta tunique. A quiconque te demande, donne, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas.

6.35
Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour.

6.36
Soyez généreux comme votre père est généreux.

12.15
Attention, gardez-vous de toute avidité ; ce n’est pas du fait qu’un homme est riche qu’il a sa vie garantie par ses biens.

12.22
Voilà pourquoi je vous dis : ne vous inquiétez pas pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. Car la vie est plus que la nourriture, et le corps, plus que les vêtements.

12.33
Vendez tout ce que vous possédez et donnez le en aumône.

14.33
De la même façon, quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple.

18.18-23
Un notable interrogea Jésus : « bon maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage ? ».(..) Tu connais les commandements : tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère. » le notable répondit : « tout cela je l’ai observé dès ma jeunesse. » L’ayant entendu, Jésus lui dit : « une seule chose encore te manque : tout ce que tu as, vends-le, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi. »

Cette façon d’être semble se résumer à une renonciation à toute forme d’avidité et de possessivité, un don de soi au service d’un bien commun à tous.
Elle est clairement avancée comme préférable, y compris tout de suite, et non pas seulement comme un moyen d’obtenir une récompense future. Ainsi, elle serait non seulement une garantie contre le malheur :
12.33
Faites-vous des bourses inusables, un trésor inaltérable dans les cieux ; là, ni voleur n’approche, ni mite ne détruit.

Mais encore, une façon de vivre plus intensément tout de suite, d’être vraiment soi-même :
9.25
Et quel avantage l’homme a-t-il à gagner le monde entier s’il se perd ou se ruine lui-même ?

18.29-30
« en vérité, je vous le déclare : personne n’aura laissé maison, femme, frères, enfants, à cause du royaume de Dieu, qui ne reçoive beaucoup plus en ce temps-ci, et dans le monde avenir, la vie éternelle. »

Jésus invite non seulement à une certaine façon d’être, mais encore à tout faire pour la conserver, en étant vigilant et en se préservant de la tentation. En particulier, en pratiquant la pauvreté.
La richesse est clairement vue comme un danger. Ainsi, dans la parabole du semeur, on peut lire :
8.14
Ce qui est tombé dans les épines, ce sont ceux qui entendent et qui, du fait des soucis, des richesses et des plaisirs de la vie, sont étouffés en cours de route et n’arrivent pas à maturité.

Sans parler de la remarque que lui inspire la réaction du notable auquel il s’est adressé plus haut (18.18) :
18.23-24
Quand il entendit cela, l’homme devint tout triste, car il était très riche.
Le voyant, Jésus dit : « qu’il est difficile à ceux qui ont des richesses de parvenir dans le royaume de Dieu ! Oui, il est plus facile à un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche, d’entrer dans le royaume de Dieu ».

Et de celle qui suit sa proposition de se faire des « bourses inusables » dans « les cieux » :
12.33
Car, où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.

On pourrait penser qu’il ne met en garde que contre un risque ou du moins certains excès, et qu’il est donc possible d’être riche à condition de faire attention.
Pourtant, il dit :
16.13
Aucun domestique ne peut servir deux maîtres :
Ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre.
Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent.

Et semble condamner la richesse ainsi que le commerce d’une façon relativement générale :
6.20,24
heureux, les pauvres, le royaume de dieu est à vous.
mais malheureux, vous les riches, vous tenez votre consolation
16.22
or le pauvre mourut et fut emporté par les anges au côté d’Abraham ; le riche mourut aussi et fut enterré. Au séjour des morts, comme il était à la torture (..) il s’écria : « Abraham, mon père ait pitié de moi (..) Abraham lui répondit : « souviens-toi que tu as reçu ton bonheur durant ta vie(…)

19.45-46
Puis jésus entra dans le temple et se mis à chasser ceux qui vendaient. Il leur disait : « il est écrit : ma maison sera une maison de prière » ; mais vous, vous en avez fait une caverne de bandits »

Manifestement, il traite les marchands de bandits… et on ne voit pas trop en quoi cette qualification ne découlerait que du fait qu’ils se trouvent dans le temple…

En invitant ses semblables à renoncer à toute possession et à tout marchandage, à pratiquer le plus complètement possible le don et le partage, Jésus prône clairement le communisme dans le sens le plus pur du terme (communisme : mettre en commun). Une économie sans monnaie ni propriété privée est ce qui découle naturellement de ses imprécations. C’est également le sens le plus limpide de ce fameux passage :
20.24
faites-moi voir une pièce d’argent. De qui porte-t-elle l’effigie et l’inscription ? » Il répondirent : « de César ». « Eh bien, rendez à César ce qui est à César».

On imagine que s’il revenait, il serait en colère contre l’immense majorité des gens qui se disent chrétien (s’ils prétendent ainsi être ses disciples).
Il n’avait de cesse de reprocher aux notables religieux de son époque (les « pharisiens ») la superficialité de leur pratique :
11.37
comme il parlait, un pharisien l’invita à déjeuner chez lui. Il entra et se mit à table. Le pharisien fut étonné en le voyant qu’il n’avait pas d’abord fait une ablution avant le déjeuner.
Le seigneur lui dit : « maintenant vous, les pharisiens, c’est l’extérieur de la coupe et du plat que vous purifiez, mais votre intérieur est rempli de rapacité et de méchanceté. (…) Donnez plutôt en aumône ce qui est dedans et alors tout sera pur pour vous.

Devant la radicalité des injonctions du « fils de Dieu », on peut être tenté d’argumenter qu’il ne faut pas forcément appliquer tout ce qu’il dit. Pourtant, il est très clair à ce sujet : il invite quiconque l’entend à mettre en pratique, comme l’illustre la parabole des deux maisons :
6.46
et pourquoi m’appelez-vous "seigneur" "seigneur", et ne faites-vous pas ce que je dis ?
Tout homme qui vient à moi, qui entend mes paroles et qui les met en pratique, je vais vous montrer à qui il est comparable. Il est comparable à un homme qui bâtit une maison : il a creusé, il est allé profond et a posé les fondations sur le roc. Une crue survenant, le torrent s’est jeté contre cette maison mais n’a pu l’ébranler, parce qu’elle était bien bâtie.
Mais celui qui entend et ne met pas en pratique est comparable à un homme qui a bâti une maison sur le sol, sans fondations : le torrent s’est jeté contre elle et aussitôt elle s’est effondrée, et la destruction de cette maison a été totale.

Quand on voit l’état du monde actuel, avec ces milliards de gens qui se prétendent chrétiens sans appliquer réellement les prescriptions évangéliques, on comprend toute la portée de cette parabole. Que voit-on ?
L’hégémonie du capitalisme et de l’avidité. L’abondance des guerres, des oppressions, de la misère, la destruction de l’environnement.
Et on devine qu’en effet, le manque de pratique réelle (et non pas celle, superficielle, que Jésus reprochait déjà aux pharisiens), a bien pour conséquence un malheur persistant et risque d’entraîner bientôt notre « maison » vers un effondrement et une « destruction totale »…

Les premiers chrétiens avaient apparemment bien compris le message :
Actes 2.44
Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun. Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous, selon les besoins de chacun.

Actes 4.32
La multitude de ceux qui étaient devenus croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme et nul de considérait comme sa propriété l’un quelconque de ses biens ; au contraire, ils mettaient tout en commun.

Actes 4.34
Nul parmi eux n’était indigent : en effet, ceux qui se trouvaient possesseurs de terrains ou de maisons les vendaient, apportaient le prix des biens qu’ils avaient cédé et le déposaient aux pieds des apôtres. Chacun en recevait une part selon ses besoins.

La définition marxiste du communisme (qui n’a rien à voir avec les Etatismes « marxistes-lenninistes » ni les programmes des « partis communistes » !) est « de chacun selon ses besoins ». On voit donc que c’est une idée fort ancienne…
Une secte juive, les Esséniens, la mettait d’ailleurs déjà en pratique plus d’un siècle avant la naissance de Jésus… Quant à ceux qui, en Orient, cherchaient ou vivaient le nirvana (une certaine façon d’être…), cela faisait plusieurs siècles, qu’ils pratiquaient la pauvreté et/ou la vie en communauté (dans des monastères)...
Ce comportement n’est peut-être pas si étrange. Nos ancêtres n’ont-ils pas vécu en communautés solidaires pendant des millions d’années, bien avant l’invention de l’écriture…

La communauté s’impose comme la conséquence d’une certaine façon d’être. On peut lire d’ailleurs dans les actes des apôtres :
Actes 2.47
Et le seigneur adjoignait chaque jour à la communauté ceux qui trouvaient le salut.

Traduction : celui qui trouve en lui une certaine façon d’être, celui auquel la compassion, l’amour et la raison s’imposent et donnent un sens à sa vie, qui fait preuve d’une certaine sagesse, ne peut que pratiquer et promouvoir la communauté.
Car en plus de matérialiser le partage et l’amour, elle est ce qui nous préserve d’une avidité excessive, et qui pourrait ainsi, aujourd’hui, préserver l’écosystème…

En outre, le communisme est une source d’économie et d’abondance.
Sauf qu’il ne peut être viable et être ainsi réellement une source d’abondance et de bien-être durable que si une certaine attitude l’accompagne.
Ainsi, on comprend mieux le sens de cette parole :
Luc 12.29-31
Et vous, ne cherchez pas ce que vous mangerez ni ce que vous boirez, et ne vous tourmentez pas. Tout cela, les païens de ce monde le recherchent sans répit, mais vous, votre père sait ce dont vous en avez besoin. Cherchez plutôt son royaume et cela vous sera donné par surcroît.

La bible est un récit fabuleux. L’enrobage surnaturel et religieux permet de conférer une certaine autorité à ce qui est dit, afin d’influencer les esprits les plus « simples ». Il y a une double lecture possible. Les expressions « royaume des cieux » et « vie éternelle » sont d’ailleurs emblématiques de cette stratégie.
Si croire en une superpuissance de Jésus (qui est, selon les chrétiens, une incarnation divine), en un principe supérieur capable de punir ou de récompenser (le dieu des croyants), peut aider certains à se comporter d’une façon plus sociable, c’est toujours une bonne chose… Mais de telles croyances sont-elles nécessaires à celui qui a goûté cette façon d’être à laquelle Jésus nous invite ? A-t-on même besoin qu’on nous y invite ? Cette façon d’être ne s’impose-t-elle pas d’elle-même ?
Et si c’était ça, aujourd’hui, la bonne nouvelle ?

Novembre 2008

Pour aller plus loin : Amopie !

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