Humanisme pur

Démocratie amopienne

Démocratie

Nous avons vu* qu'une des caractéristiques de la société amopienne était la démocratie : la prise en commun des décisions concernant le groupe (ceci devant favoriser la justice et la liberté).
Plus précisément, nous entendons par « démocratie », la liberté pour chacun de participer à quelque décision que ce soit.
Par « liberté », nous entendons : plus grande facilité, et non pas une simple possibilité.
Par « participation », nous entendons, bien sûr une participation directe. Il ne saurait s'agir d'élire quelqu'un qui va décider à notre place, fût-il appelé « notre représentant » ! (Cela favoriserait une compétition pour le pouvoir, et serait peu démocratique).
Inutile de limiter la participation de chacun aux « décisions qui le concernent », car cela pourrait introduire un arbitraire. Chaque acte, ayant une influence sur l'environnement, peut avoir un effet objectif sur tout le monde ; de plus, un humaniste se sent concerné par le bien-être d'autrui...

C'est seulement sur la façon de participer, que nous introduisons une restriction. Par exemple, un avis ne saurait être pris en compte (directement) si son auteur n'a pas participé à l'ensemble des débats pouvant avoir une influence sur cet avis. Quiconque souhaite avoir un poids non strictement consultatif sur une prise de décision doit participer à la totalité des délibérations qui la concerne.
Par conséquent, les délibérations sur un sujet donné doivent être annoncées avec suffisamment d'avance, pour que quiconque souhaitant y participer puisse le faire.
En pratique, il est nécessaire de se répartir la gestion de l'écosystème, chacun ne peut participer à toutes les décisions qui se prennent à chaque instant sur la planète ! D'où le système des communautés locales, chacun participant d'abord à la gestion du territoire de la communauté à laquelle il appartient. Rien n'empêche cependant, quiconque le souhaite de déménager... ni de prendre part à des décisions inter-communautaires.

Règles et droit d'usage

Rappelons que le système actuel est essentiellement monarchique. La décision collective y est très rare. Par exemple, une décision concernant l'utilisation d'un bien (un champ, une usine, une voiture...) n'est généralement prise que par une personne, son « propriétaire ». S'il daigne consulter autrui, autrui n'a qu'un avis consultatif. Il y a hiérarchie de pouvoir : en cas de désaccord, c'est l'avis du propriétaire qui l'emporte par principe. De plus, ce pouvoir est transmis à la discrétion du seul propriétaire ; par défaut : à ses descendants. Il s'agit bien d'un pouvoir absolu et héréditaire (même s'il est limité à un domaine donné)...
Le cas d'une propriété collective ne change pas fondamentalement la situation : les "actionnaires" forment une oligarchie héréditaire.

Dans une Amopie, il peut parfaitement y avoir un droit d'usage exclusif, justifié pour assurer certains besoins de tranquillité, d'intimité, d'hygiène etc. Mais ce droit est à la discrétion du groupe : c'est le groupe qui décide de son attribution et de son évolution. Nous sommes en démocratie : c'est donc le groupe qui est souverain (conformément à l'étymologie). De ce fait, à partir du moment où les ressources sont suffisantes, les besoins élémentaires de chacun sont comblés (puisque la décision commune favorise l'équité).
En particulier, pour ce qui concerne la consommation personnelle, celle-ci peut être laissée à l'initiative individuelle tant qu'elle ne comporte pas un risque de nuisance ou d'injustice.

Plus généralement, une délibération du groupe n'intervient pas concrètement à la moindre prise de décision. Ce serait trop lourd ! Les individus ont une certaine marge d'initiative. C'est seulement en cas de problème particulier, soulevé par quiconque le souhaite, que le groupe règle un différend, établit ou modifie une règle.

En outre, il n'y a pas, en Amopie, de règles rigides. Toute règle peut être enfreinte si la personne qui le fait est en mesure de se justifier a posteriori sur la base des objectifs communs. Les règles ne sont qu'un moyen au service du bien commun, une aide à la prise de décision (pour un humaniste rationnel).

Systèmes traditionnels

Introduction

Voyons maintenant comment effectuer une prise de décision commune.

Les démocraties qui ont existé jusqu'à présent, fonctionnent selon trois modes différents : le mode majoritaire simple, le mode majoritaire qualifié (qui inclut l'unanimité) et le consensus.
Considérons tout d'abord le cas où la décision consiste à choisir entre deux options.

Mode majoritaire simple

Après un certain temps de débat et de réflexion, chaque participant indique son avis : l'option qu'il souhaite voir se réaliser. Puis l'option qui recueille le plus de suffrages est adoptée.
Dans le cas où il y a autant de voix pour et contre, la décision peut être ajournée (comme en majorité qualifiée, voir plus bas), où prise en introduisant un critère supplémentaire (voix du plus âgé, somme des anciennetés, des apports etc.)

Mode majoritaire qualifiée

Après un certain temps, chaque participant indique son avis. La décision est prise si l'option qui recueille le plus de suffrages correspond à une majorité suffisamment large (les deux tiers, les trois quarts etc.)

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, exiger une majorité qualifiée n'entraîne pas un accroissement de liberté individuelle par rapport à au système majoritaire simple.
En effet, une décision concerne la réalisation d'une action, d'un changement ; contrairement à la majorité simple, une majorité qualifiée risque de ne pas être atteinte, et cette éventualité est d'autant plus probable que la majorité exigée est élevée (le cas extrême étant l'unanimité). Tant que le pourcentage exigé n'est pas atteint, une décision est prise de fait : ne pas adopter le changement. Celui qui est favorable au changement est donc statistiquement moins libre en régime majoritaire qualifié qu'en régime majoritaire simple. Un système majoritaire qualifié est simplement plus favorable aux positions les plus conservatrices.

Le principal facteur sur lequel on peut agir pour améliorer le système majoritaire consiste à exiger un temps de délibération/réflexion minimum avant la prise de décision majoritaire simple. On peut également autoriser un temps plus court si une certaine majorité qualifiée est atteinte. Des délais pourront dépendre de l'urgence et de l'importance de la décision (lesquelles peuvent elles-mêmes être estimées démocratiquement)

Le système du consensus

En régime consensuel, après, là encore, un certain temps de débat et de réflexion, on accepte toute proposition de changement qui ne rencontre pas d'opposition (et on rejette celles qui en rencontrent).
Il s'agit d'un régime voisin de l'unanimité (majorité qualifiée de 100%). En effet, il suffit qu'une seule personne s'oppose pour qu'un changement ne soit pas adopté... La différence tient à ce que cette personne peut parfaitement, tout en préférant l'immobilisme, ne pas s'opposer formellement à ce changement...
Mais cette appréciation lui appartient; ce système va favoriser les choix oppositionnels des plus « affirmés » ou des moins « respectueux d'autrui »... C'est également, du fait de l'absence de vote formel, une porte ouverte à la manipulation.

Pour éviter les excès du pouvoir de blocage, une amélioration de ce système consiste à exiger que le blocage soit justifié explicitement sur la base de l'éthique du groupe (c'est le système du « consentement »). Par exemple, dans une Amopie, on exigerait une justification sur la base d'une amélioration du bien-être commun, de la préservation de l'écosystème etc.
Mais cette solution reste là-encore largement illusoire. En effet, dans la plupart des cas, il est toujours possible d'argumenter ainsi, que ce soit dans le sens favorable au changement ou dans le sens favorable à l'immobilisme. D'une façon générale, un choix résulte d'une pesée comparative du pour et du contre...
Souvent, l'appréciation de validité de cet argument est accaparée par un directeur des débats pas forcément clairement désigné comme tel, d'où une possibilité de prise de pouvoir peu démocratique... Si cette appréciation (de validité du blocage) est attribuée au groupe, (à la majorité simple), on revient plus ou moins à un système majoritaire...

Élargissement du choix

Lorsqu'il y a plus de deux options (parmi lesquelles se prononcer), le vote à la majorité gagne à être factionnaire : chacun n'y choisit pas une option, mais attribue une note à chacune.
Quant à la délibération au consensus, elle a alors plus de chances d'aboutir, car l'élargissement du choix augmente la probabilité de trouver une option ne rencontrant pas d'opposition. Ainsi, en cas de blocage, de nouvelles options sont généralement recherchées afin d'aboutir à un compromis plus satisfaisant. Mais rien ne garantit que le premier choix qui ne rencontre pas de blocage soit le plus satisfaisant...

Délibération rationnelle

Introduction

La généralisation d'une telle démocratie (quelle soit majoritaire simple ou par consentement) constituerait déjà un progrès par rapport à la monarchie évoquée plus haut. Mais si l'on peut trouver une solution encore plus favorable au bien-être de chacun et à l'harmonie, ce serait mieux. L'alternative croîtrait plus probablement et rapidement.
C'est pourquoi, pour Amopie, nous proposons un système radicalement nouveau, sensiblement plus démocratique que ceux que nous venons de voir, en ce sens que les membres du groupe sont bien plus libres : la délibération humaniste rationnelle.

L'idée est de prendre les décisions véritablement ensemble. Lorsque l'on se contente d'établir un compromis à partir des positions formulées par chacun, la délibération n'est pas véritablement commune. Les systèmes traditionnels favorisent un attachement de chacun à « son » avis, des oppositions entre avis différents...

Inventaires et organisation générale

Pour préciser plus avant la nature de cette démocratie « profonde », il est nécessaire d'examiner en quoi consiste une délibération rationnelle : comment prendre une décision (que l'on soit seul ou plusieurs).

Considérons le choix d'une action.
L'idée est d'évaluer, d'une part, les conséquences du changement proposé sur le bien-être total (la somme des bien-êtres de tous les êtres), et d'autre part, le coût de l'activité nécessaire : temps de travail, peine ... (réparti, là encore, sur plusieurs êtres).
La différence entre ces deux valeurs sera le bénéfice de l'action.

Pour que l'action soit décidée, il ne suffit pas que son bénéfice soit positif. La démarche rationnelle consiste à considérer l'ensemble des actions dont le bénéfice est positif, puis à entreprendre en priorité celles sont le bénéfice est le plus important. En effet, même si nous sommes plusieurs, le temps de travail total est limité, et il faut donc faire des choix... Une décision d'action ne peut donc être prise isolément des autres (du moins s'il lui correspond un temps de travail non négligeable)...

La procédure décisionnelle au sein d'une amopie sera typiquement la suivante.

  1. Chacun note, lorsque l'occasion se présente, un problème qu'il constate ou une idée d'action qui lui vient (qui lui semble avoir un bénéfice positif).
  2. Les notifications de problème et propositions d'actions sont partagées : panneau, boîte à idée, réunion...
  3. Un inventaire des problèmes est réalisé (réunion). (Le terme « problème » est pris ici au sens large d'amélioration possible du bien-être ; à toute proposition d'action correspond donc un problème).
  4. Pour chaque problème (par ordre d'importance décroissante), un inventaire des propositions d'action correspondantes est réalisé. En fonction de l'urgence et de l'importance du problème, un temps est laissé à la réflexion pour que plus d'idées soient trouvées (une heure, un jour, un mois...)
  5. À l'issue de ce temps, les différentes propositions d'action (pour chaque problème) sont évaluées.
  6. Pour chaque problème, une action optimum est ainsi déterminée (celle dont le bénéfice est le plus grand).
  7. Parmi toutes les actions ainsi déterminées (pour tous les problèmes inventoriés) celles dont le bénéfice est le plus élevé sont mises en œuvre (par ordre de bénéfice décroissant).

Évaluations

Voyons plus en détail, comment se font les évaluations (étape 5).

Gain de l'action : évaluation du changement

En général, l'impact d'une action ne concerne guère qu'un petit nombre d'êtres (ce qui simplifie les calculs !)
Ce gain prend en compte la probabilité de l'impact, mais aussi son intensité et sa durée.
L'évaluation de probabilité et de durée est purement technique, tandis que l'estimation d'intensité de bien-être est purement subjective. Si la personne concernée par ce bien-être probable est présente, elle seule indiquera cette « intensité ». Celle-ci sera un nombre borné : entre -5 (grande souffrance) et +5 (bonheur intense), par exemple.
Si l'être concerné n'est pas présent ou ne peut se prononcer, l'évaluation sera faite par les présents, en tenant compte des similitudes de cet être avec eux-mêmes. Puis on adoptera la moyenne des évaluations des présents.
Pour une évaluation technique, on adoptera la moyenne des évaluations des présents, en privilégiant, le cas échéant, celles des personnes les plus compétentes ou expérimentées dans le domaine considéré.
Toutefois, en cas de différentes importantes (entre évaluations techniques individuelles), une explication sera demandée, car de telles différences peuvent signifier que des informations utiles n'ont pas été partagées, qui pourraient faire pencher les évaluations dans un sens ou dans l'autre, et modifier ainsi la moyenne dans un sens plus juste...

A priori, le gain d'une action dépend de sa date. Souvent, il est d'autant plus faible que l'action est entreprise tardivement. L'urgence d'une action correspond à une décroissance rapide de ce gain avec le moment de l'action. Cette variation sera prise en compte dans la détermination de celui-ci.

Coût de l'action : évaluation du travail

Le coût ne concerne que les êtres qui feront le travail (et va dépendre de ceux-ci).
Il prend en compte un coût monétaire (éventuellement, pour la communauté), un temps de travail, des pénibilités instantanées...
Là encore, ces évaluations sont purement techniques sauf celles de pénibilité, qui dépendent des individus. La procédure d'évaluation est similaire à celle déjà indiquée pour le gain de l'action.

Il va de soi qu'un travail donné tendra à être fait par les personnes les plus compétentes pour lesquelles il est le moins pénible (maximisation du bénéfice de l'action).
Toutefois, une polyvalence des individus sera également recherchée pour plus de sécurité et de souplesse sur le long terme... ce qui implique un travail de formation.

Conclusion

On a donc ici, un mode de délibération dans lequel personne n'est amené à prendre position, à exprimer prématurément des préférences, mais où tout le monde participe constructivement à l'élaboration d'une décision commune.
Cette décision commune est nécessairement celle qui satisfait le plus un humaniste rationnel. Celui-ci souhaite en effet que soit adoptée la décision la plus favorable possible au plus grand bonheur du plus grand nombre possible. Il n'est pas attaché, indépendamment de cela, à un avis donné. La collectivisation d'une telle délibération est naturellement recherchée par lui puisqu'elle permet des inventaires plus complets et des évaluations plus justes, et par conséquent des actions plus performantes (dans le sens qu'il souhaite).
Dans un système démocratique classique, la liberté de chacun est limitée par celle d'autrui, d'une façon difficilement prévisible (à cause de la complexité de la psychologie humaine)... Ici, chacun contribue à la liberté de chacun !

Le seul invonvénient de cette collectivisation des décisions résulte du travail de délibération collective lui-même. D'où l'intérêt de l'initiative individuelle pour les décisions suffisamment urgentes ou anodines, et de règles limitant le recours à la réunion.
Cependant, communiquer peut être un plaisir...

Ce mode de délibération n'est pas spécifiquement collectif. Il est ce qui convient le mieux à l'humaniste rationnel, même lorsqu'il est seul. Il implique un effort sur soi-même : pour ne pas se laisser emporter par des pulsions ou des attachements intempestifs. La procédure démocratique amopienne l'aide donc à fonctionner comme il le souhaite.
Ce mode de prise de décision va bien dans le sens d'un conditionnement positif, conformément à l'esprit du projet, tout en favorisant le succès matériel de ce dernier.

Bien sûr, il en va différemment pour quelqu'un qui ne partage pas l'éthique du projet, et qui pourrait être tenté d'exploiter les autres. Mais c'est précisément un intérêt d'une telle procédure que d'empêcher une telle exploitation... Personne n'est obligé de venir vivre en Amopie ni d'y rester... En ce sens, la liberté est bien au programme pour tout le monde...


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