Considérons un homme obligé de se débrouiller pour survivre sur une île
déserte. Il doit effectuer un certain nombre de tâches pour satisfaire ses
divers besoins: trouver des baies comestibles, pêcher, chasser, trouver un
endroit pour passer la nuit au chaud, à l'abri des prédateurs, se
confectionner des outils, des habits etc.
Il passe ainsi une grande partie de ses journées à travailler.
"Travailler": se livrer à une activité dans le but d'obtenir un
résultat. Le travail n'est donc pas quelque chose de nécessairement pénible.
Ce peut être une activité agréable. Cela dépend de l'activité... et de la
personne qui s'y livre. Il n'en demeure pas moins qu'un travail donné n'est pas
forcément l'activité la plus agréable qui soit, celle que l'homme choisirait
s'il avait le choix (d'obtenir le même résultat autrement). Il préfèrerait
souvent bénéficier du résultat sans avoir à effectuer le travail
nécessaire.
En vertu de cette fainéantise fondamentale, les hommes ont cherché des
moyens de réduire leur travail, tout en bénéficiant des fruits
correspondants.
C'est l'intérêt du progrès technique, des outils et machines, qui augmentent
considérablement la productivité. Le travail d'invention des outils ou
techniques est généralement préféré parce que plus créatif et moins
fastidieux que le travail de production directe.
Une autre façon de réduire ou de rendre plus agréable et productif le
travail est sa "socialisation" : travailler à plusieurs. Ainsi, au
lieu que chacun travaille seul à la satisfaction directe de ses seuls besoins,
chacun participe à la satisfaction des besoins de tous, le travail étant
réparti d'une façon plus judicieuse.
Le travail en groupe peut être plus agréable et surtout plus efficace.
Plus agréable parce qu'en travaillant côte à côte, on peut bavarder, ce qui
divertit des tâches fastidieuses. Plus agréable parce que chacun a plus de
façons de choisir l'activité qu'il exerce : possibilité de faire ce qui lui
est le plus agréable, plus de liberté dans la répartition du travail que si
chacun produit ce qu'il consomme. Travailler à plusieurs apporte aussi un
sentiment de force et d'harmonie qui est désirable en soi. C'est également un
gage de sécurité : la personne malade peut être aidée, pendant sa période
d'incapacité.
Le travail socialisé peut être plus efficace par coordination des actions
individuelles (plier un grand drap, encercler du gibier, déplacer un
objet lourd). Il peut être plus efficace par spécialisation: les savoir-faire
longuement acquis par certains sont mieux rentabilisés, certains va-et-vient
inutiles sont supprimés.
En contre-partie, cela entraîne une plus forte dépendance mutuelle, la
nécessité de communiquer efficacement et de partager certains objectifs...
Socialisation et progrès technique oeuvrent souvent de concert: une
mécanisation permettant souvent un gain de productivité à condition que la
production soit concentrée.
Il existe un grand nombre de façons différentes de s'organiser ensemble
pour travailler à la satisfaction des besoins. Une telle façon de s'organiser
est une "économie". Les "acteurs" d'une économie donnée
sont les individus auxquels elle s'applique. Le travail peut concerner une
modification de l'environnement matériel: services, production ou distribution
de biens, ainsi que la production ou transmission d'idées et de savoirs. La
"consommation" est l'acte par lequel on bénéficie d'un service ou
d'un bien, en particulier en le détruisant (consommation d'un aliment).
L'économie est également la science qui étudie ces différents modes de
gestion du travail et de la consommation.
D'un point de vue humaniste, il est intéressant de déterminer l'économie
qui est la plus satisfaisante pour ses acteurs.
Pour ce faire, une économie doit d'abord permettre une production effective des
biens ou services : c'est sa "viabilité".
Il faut ensuite que le travail et la consommation soient répartis d'une façon
équitable, ou du moins, que tout le monde soit matériellement satisfait, c'est
sa "justesse".
Le type de rapport économique peut être plus ou moins satisfaisant
humainement, c'est sa "reliance".
Il importe également que les ressources naturelles soient préservées pour les
générations futures, c'est sa "soutenabilité" écologique.
Pour qu'une économie soit "viable", il faut que les acteurs aient une motivation suffisante pour faire le travail qui leur est imparti. On peut rêver, par exemple, d'une économie où chacun travaillerait spontanément pour satisfaire les besoins de tous, veillant spontanément à la justice et à la préservation des ressources, sans autre incitation que ce résultat global. En théorie, elle serait évidemment largement préférable à tout ce que l'on connaît. Mais on peut douter de sa viabilité...
Il importe donc, avant tout, de s'interroger sur les motivations humaines à
travailler. Ces motivations correspondent à la satisfaction de besoins et
désirs.
Il y a les besoins de survie : assurer sa sécurité, sa subsistance
alimentaire... assurer la pérennité de l'espèce: s'accoupler, prendre soin de
ses enfants... se sentir intégré, reconnu socialement, avoir une certaine
autonomie, créer etc. Les motivations humaines sont relativement complexes et
variables.
Concernant un travail, la motivation de l'individu peut être
"directe" ou "indirecte".
Prenons l'exemple d'un homme qui voit un fruit comestible au sommet d'un arbre.
Le travail: monter sur l'arbre et cueillir le fruit.
La motivation est directe si la motivation ultime de l'homme correspond à la
consommation du "fruit" de son travail. Par exemple: s'il souhaite
manger le fruit. Mais aussi: s'il souhaite réserver ce fruit pour un repas
festif organisé par sa tribu, ou l'offrir à une amie, dans la mesure où il
tire son plaisir de la consommation du fruit, fût-ce par empathie.
La motivation est indirecte dans le cas contraire. Par exemple, s'il offre ce
fruit à une amie dans le but qu'elle l'apprécie et cède plus facilement à
ses avances... S'il réserve ce fruit pour le repas de sa tribu dans le but de
ne pas essuyé de reproche pour ne rien avoir apporté. Dans ces cas, la
motivation ultime n'est pas la consommation du fruit...
En bref, une motivation est directe si elle vise à l'autoconsommation ou à un
don désintéressé.
En outre, une motivation peut être "positive" : obtenir une satisfaction, ou négative: "éviter une insatisfaction".
Pour un travail donné, une personne peut avoir plusieurs motivations
simultanées. Par exemple, le plaisir par empathie de la consommation, et, par
ailleurs, une récompense ou l'évitement d'une sanction etc. L'altruisme et
l'égoïsme ne s'excluent pas...
Elle peut encore avoir plusieurs motivations différentes au cours du temps,
selon les pensées qui occupent son esprit. Ainsi, lors d'un travail, il y a des
motivations intermédiaires qui se mettent en place. Par exemple, au moment de
grimper sur l'arbre, le travailleur est concentré sur son équilibre pour ne
pas chuter, sur la recherche de branches pour prendre appui etc.
Une motivation peut donc être activée par le simple rappel de son
existence.
Le rappel de plusieurs motivations peut donc augmenter la disposition de la
personne à faire un travail donné.
Reste que pour être effective, cette motivation doit correspondre à un besoin
humain fondamental (ou plusieurs).
Ainsi, une économie où l'on fait appel à la créativité ou l'altruisme de ses acteurs (en "garantissant" un revenu minimum par exemple), risque de ne pas fonctionner (être viable). Les biens de base risquent de ne pas être produits, d'où une situation de famine. Une raison à cela étant que l'insécurité occasionnée par ce risque peut pousser certains à stocker discrètement pour leur consommation personnelle au lieu d'apporter leur contribution au travail commun...
On peut parler d'économie à motivation directe lorsque les motivations directes sont favorisées et dominent. Ainsi, l'économie de la tribu primitive peut être considérée comme étant à motivation directe, dans la mesure où chacun y travaille essentiellement dans le but d'amener à manger à la communauté.
Depuis ces temps reculés, l'homme a développé des économies à motivation
indirecte.
Un exemple simple est l'esclavage : l'esclave travaille dans le but de ne pas
être fouetté. Ce rapport économique découle de la fainéantise du maître,
qui préfère faire faire par autrui les travaux pénibles dont il souhaite
consommer le résultat.
Les échanges entre tribus ou individus sont également à l'origine d'une
économie à motivation indirecte. Cela a commencé avec le troc: une tribu
potière ne faisait plus l'essentiel de ses pots pour sa propre consommation,
mais dans le but d'obtenir (par échange) du maïs de la tribu céréalière, du
gibier de la tribu chasseresse etc.
La monnaie s'est ensuite imposée car elle facilitait considérablement ces
échanges : le potier, pour obtenir du poisson, n'avait plus besoin que le
pêcheur souhaite avoir des pots...
Cette économie d'"échange" n'est pas d'une reliance très satisfaisante à cause du rapport conflictuel de négociation : la détermination du prix d'achat est le résultat d'un compromis entre les désirs de consommation (ou de domination) de chacune des parties. Les objectifs de maximisation de possession monétaire sont antagonistes. Surtout, à égalité de pouvoir, la plus avide des deux parties est avantagée par la négociation. Cela favorise l'avidité et le pouvoir dont elle dispose, et par conséquent, la rivalité et les conflits...
La possession de monnaie n'est généralement pas la motivation ultime
puisque la monnaie est destinée à acquérir des biens ou bénéficier de
services. Mais, du fait de sa nécessité et de son pouvoir pratiquement
universel, elle tend à le devenir. La quête d'argent est alors une quête de
pouvoir personnel et de sécurité, qui devient une motivation dominante dans la
vie des individus.
Par synergie, la consommation de biens devient à son tour une motivation
dominante, d'où une augmentation considérable de cette consommation de biens
matériels, bien au-delà de ce que nécessite la satisfaction des besoins
vitaux.
Cette importante focalisation sur des motivations d'appropriation et de
jouissance matérielle renforce les sources de conflits.
De plus, le développement outrancier de la consommation (autorisée par les
progrès de productivité) met en péril l'environnement naturel...
Par ailleurs, la possibilité de tirer du prêt d'un bien (y compris de la
monnaie!) un revenu illimité dans le temps, la possibilité de transmettre son
capital privé à sa descendance, ont considérablement accru les inégalités
sociales, ont supprimé la proportionnalité entre gain et travail (moindre
"justice") et précarisé la survie d'une grande partie de la
population.
Avant, chacun naissait au sein d'une communauté qui disposait de l'espace vital
nécessaire à sa survie. Les besoins de sécurité et d'appartenance étaient
assez bien satisfaits. De nos jours, celui qui ne naît pas au sein d'une
famille riche, dépend de la bonne volonté des plus riches pour pouvoir
survivre (puisque les moyens de production, y compris la terre, sont entre leurs
mains).
L'économie dominant actuellement la planète, le capitalisme de marché, si
elle peut être considérée comme "viable", est une véritable catastrophe en termes de
"justice", de "reliance" et de "soutenabilité".
Une catastrophe écologique majeure est extrêmement probable, si des mesures
radicales ne sont pas prises d'urgence dans ce domaine.
Se plaindre, manifester, dénoncer, ne suffit pas: il faut proposer une
économie viable et soutenable, et de préférence juste et reliante.
Il importe que dès aujourd'hui, certains se mettent à réfléchir et
expérimenter, de façon à faire advenir une économie plus satisfaisante.
La sphère "politique" est actuellement réduite à un petit nombre de partis qui se bornent essentiellement à satisfaire les ambitions au pouvoir de leurs dirigeants, à défendre les intérêts d'une classe particulière de la population, à représenter une vague sensibilité ou à faire triompher une idéologie dogmatique. Il y a donc de la place pour une action plus "éclairée" dans le sens de la survie de notre espèce !
Imaginer qu'une économie satisfaisante se mettrait spontanément en place
sur les ruines de l'autre relève du vœu pieux. La désorganisation tend à
favoriser l'expression de la violence, elle laisse naturellement la place à la
loi du plus fort.
Se comporter soi-même de façon "écologique" a peu de chances
d'améliorer sensiblement la situation planétaire. Car l'hypothèse "si
tout le monde faisait comme moi" est peu vraisemblable.
Changer les comportements individuels par une approche philosophique sans se
préoccuper de l'environnement social apparaît comme peu réaliste. Des
"spiritualités" essaient depuis trois mille ans...
Réformer le système progressivement de l'intérieur semble difficile, car une
économie viable doit être cohérente, ce qui implique une réforme d'ensemble.
De plus, cela implique généralement un changement d'état d'esprit : il est
donc peu probable qu'une économie radicalement différente fonctionne si elle
est imposée au plus grand nombre.
Il n'est évidemment pas suffisant de se retirer à la campagne en cessant
d'alimenter le système, de se contenter de vivre de façon plus conviviale en
partageant quelques biens. Qu'on le veuille ou non, un autre système prendra
place (nous sommes forcément organisés d'une certaine façon), autant
réfléchir à celui que l'on veut avant de le faire advenir, de façon à
obtenir une viabilité, une justice, une reliance et une soutenabilité
satisfaisantes...
Donc, l'abandon, le réformisme, la révolution, la rigueur morale, l'initiative ludique ne suffisent pas.
Une solution judicieuse : expérimenter divers types d'économie à petite
échelle, pour voir ce qui fonctionne le mieux. Ainsi, les modèles les plus
satisfaisants attireront plus de volontaires, ce qui leur permettra de se concrétiser
et de se généraliser.
En pratique, cela nécessite qu'une partie au moins de la population se soit
libérée de certaines croyances et se soucie des générations futures.
Si une économie est basée sur une certaine psychologie (qui détermine les motivations pour travailler), inversement, elle constitue en elle-même un environnement qui influence la psychologie de ses acteurs (et donc ses motivations). La corrélation est à double sens. C'est ainsi que l'économie capitaliste de marché renforce l'avidité et la peur des autres. Faisons naître une autre logique, une autre double-corrélation !
On ne voit pas comment une économie favorisant la recherche d'un enrichissement personnel illimité peut être compatible avec la gestion globale des ressources naturelles nécessaire à la préservation de l'écosystème. Si chacun cherche à avoir toujours plus, comment la consommation globale peut-elle être limitée ? L'imposition de règles par un Etat est forcément d'une efficacité réduite: l'avidité n'a pas de raison d'épargner les fonctionnaires s'ils baignent dans l'économie capitaliste, d'où une corruption prévisible de ceux-ci... C'est d'ailleurs ce que l'on observe dans le monde, où les lois pro-environnementales peinent à être effectivement appliquées.
En ces jours où règne une certaine abondance, nombreux sont ceux qui
peuvent prendre beaucoup de temps pour penser, libérés des contraintes de la
survie quotidienne. Ils ont là l'occasion d'évoluer en sagesse.
Dans l'hypothèse où la catastrophe (nucléaire ou écologique) n'exterminerait
pas l'espèce, il est probable que le règne de l'avidité perdure (car il y
aura alors plus d'insécurité et moins le temps de penser), et les
connaissances nécessaires à la guerre nucléaire ou à la surexploitation de
l'environnement seront facilement retrouvées...
C'est donc le moment ou jamais de se relier différemment les uns aux autres...
Plus de justice, de reliance et de soutenabilité ne peut résulter que de
dispositions humanistes. Ce sont d'ailleurs de telles dispositions qui inspirent
la présente discussion, à la recherche d'une économie désirable...
Si l'harmonie pouvait résulter de l'égoïsme, comme le prétendirent les
utopistes libéraux à la fin du XVIIIème siècle ("la main
invisible" de A Smith), les résultats du capitalisme de marché auraient
été plus probants... Ce qu'on a observé est l'apparition d'une bourgeoisie
richissime et de conditions de vie extrêmement pénibles pour la majorité
(décrites dans les romans d' E. Zola). Une intervention de l'Etat (lois
sociales, syndicats etc.) a depuis tempéré ces conséquences du capitalisme
pur...
Dans les comportements de tous les jours, l'humanisme, le sens de la solidarité n'est cependant pas universel et spontané. L'environnement social, que ce soit par la culture ou par l'organisation économique, doit le favoriser. Une grande partie de nous-mêmes est le produit de cet environnement (quelle que soit la façon dont il s'est mis en place : par hasard ou par calcul). Il faut agir sur tous les plans afin de garantir à un tel projet un maximum de chances de réussites.
Il est donc urgent de créer d'autres sociétés, des sociétés favorisant l'amour et la solidarité. Car sans le développement de véritables alternatives, nous avons peu d'avenir (en quantité et en qualité)...
Si expérimenter est nécessaire, il est évidemment souhaitable de ne pas
expérimenter n'importe quoi si l'on veut avoir des chances de progresser
rapidement.
Il y a déjà eu quelques tentatives d'utopie expérimentale dans le passé. Si
elles avaient abouti au résultat attendu, ça se saurait... Elles furent
souvent brèves, minées par des conflits internes. Il faut prendre en compte
les enseignements de ces expériences, de la psychologie, et ne pas se contenter
d'improviser comme cela se fait si souvent.
Le fait qu'une telle expérience s'appuie sur une base scientifique augmente
ses chances de succès. Ainsi, parmi les utopistes du passé le psychologue BF
Skinner, dont les travaux ont montré l'importance d'une motivation positive (la
carotte plutôt que le bâton), a inspiré, par son roman "walden II",
des communautés qui fonctionnent toujours depuis plus de trente ans (Los
Horcones, Twin Oaks...)
Ces cas sont cependant assez rares, le romantisme, le simplisme et le dogmatisme
restant fortement présents.
La prise en compte de quelques découvertes et techniques récentes de la
psychologie, comme l'analyse transactionnelle d'Eric Berne, la communication non
violente de Marshall Rosenberg, aiderait considérablement la vie d'une
communauté humaine...
Si l'on veut favoriser l'humanisme et la compassion, l'idéal semble être
une économie "à motivation directe". Une telle économie implique
l'existence d'un but commun. Une société où une telle motivation est
présente sur le plan économique est une "communauté".
A la limite, chacun agirait directement dans le sens de ce qu'il perçoit comme
étant le bien commun, sans se soucier de son propre intérêt immédiat. Chacun
travaillerait, spontanément, en faisant abstraction de la peine que son travail
lui occasionne, en ne regardant que son résultat. Chacun travaillerait le plus
possible tout en consommant le moins possible.
Même dans cette hypothèse, une organisation est nécessaire : tenir compte de
ce que font les autres acteurs, pour ne pas refaire la même chose. De plus, la
détermination du bien commun n'est pas toujours évidente. Se consulter pour le
déterminer permettrait d'ailleurs de mieux s'en rapprocher.
Cet "anarcho-communisme" est peu réaliste car si l'humanisme existe en chaque homme, il ne règne pas d'une façon aussi absolue ! Chacun a aussi des besoins et des désirs plus personnels, des attachements divers et variés, qui, s'ils peuvent être réduits par le développement d'une certaine éthique, ne peuvent être éradiqués du jour au lendemain ! Une telle économie ne semble viable que si ses acteurs sont tous des saints ou des éveillés, ce qui restreint considérablement son champ d'application...
Ainsi, rajouter une part de "motivation indirecte" est souhaitable.
Il importera toutefois de veiller à ce qu'elle ne soit pas trop importante ou
qu'une culture/éthique maintienne l'humanisme par ailleurs. Ceci, afin que cette
motivation indirecte ne conduise pas à une hypertrophie de l'égoïsme, comme
l'a fait le développement de l'économie monétaro-capitaliste...
Une motivation indirecte légère peut être simplement constituée par le fait
que la participation de chacun au travail pour la communauté soit porté à la
connaissance de tous (par opposition à un dévouement secret ou une confiance
aveugle).
La motivation directe elle-même doit être étudiée de façon à constituer un objectif humainement réaliste. Ainsi, il est peu probable que des humanistes travaillent spontanément à une production qui ne serait pas consommée de façon relativement équitable. Ainsi, aucun humaniste n'accepterait de travailler au service de l'économie actuelle s'il n'y était contraint par le souci de sa sécurité personnelle... Nous sommes généralement plus disposés à travailler pour une société juste, que pour satisfaire les désirs du premier particulier venu. Le "sociétisme" est plus vraisemblable que l'"altruisme"...
Il est également peu probable de trouver une proportion sensible de la
population qui accepte de ne consommer que ce que sa survie nécessite, sans
avoir de choix dans sa consommation...
Une utopie réaliste semble être un socialisme où les acteurs puissent
consommer un peu plus (en valeur), à condition de devoir couvrir cet
accroissement de leur consommation par un accroissement de leur travail. Il y a
ainsi plus de liberté individuelle, avec l'assurance d'une répartition
relativement équitable des peines et des gains.
A la différence du monétarisme de marché, l'évaluation d'une consommation
serait basée sur son impact environnemental et la pénibilité des travaux
qu'elle nécessite, et non pas sur le résultat d'une négociation entre
propriétaires... Ainsi, le sens de la justice et le respect de l'environnement
prendraient la place centrale qu'occupent actuellement l'avidité et la peur, comme moteur
principal de l'économie.
Dans cette économie, la propriété individuelle des moyens de production
(en particulier la terre) serait supprimée. La propriété privée des biens
serait remplacée par une propriété collective et/ou un droit de jouissance (sorte de "location")
destiné à répartir justement le coût de sa production entre ses
consommateurs...
L'attribution de ce "droit" se ferait collectivement. Ainsi, plus
de propriété privée... mais toujours suffisamment d'intimité et d'autonomie
individuelle.
Les décisions concernant plusieurs personnes seraient prises en commun, avec
recherche de l'unanimité.
Cette économie, qui pourrait se concrétiser sur la base de petites
communautés de vie, abolirait donc la hiérarchie de pouvoir, poison pour la
justice, la liberté, et la qualité des rapports humains...
Ainsi, émergerait une économie viable, juste, reliante et écologique...
Afin qu'une telle utopie, même réaliste ne reste pas qu'un rêve, il importe de déterminer les moyens de la faire advenir, fût-ce progressivement, à partir de la situation actuelle. N'importe quel individu doit avoir la possibilité de contribuer concrètement à l'émergence de cette utopie. Encore faut-il avoir déterminé comment !
Rien n'empêche quelques volontaires d'acquérir de quoi pourvoir à leurs
besoins élémentaires en ayant recours à une économie (mode d'organisation)
plus satisfaisante que le capitalisme de marché. Une surface de terrain
agricole, peut aisément nourrir quelques personnes...
L'autonomie à petite échelle est cependant coûteuse en travail et en risque
(incertitude sur les récoltes). Une mutualisation des risques (et un gain de
productivité globale) peut être obtenu au niveau d'un réseau de plusieurs
communautés.
En attendant cette solution, les premières communautés peuvent se faciliter la
vie en conservant un lien économique avec l'économie de marché. Ce dernier
peut prendre la forme d'une entreprise touristique ou de production quelconque
ou un travail à l'extérieur pour quelques membres qui le désirent. Ainsi, du
capital matériel peut être acquis au service du développement du réseau de
communautés.
Même dans l'hypothèse d'une autonomie économique, il n'est aucunement question de se couper du reste du monde. Les échanges humains, heureusement, ne se réduisent pas aux échanges à caractère marchand...
Pour qu'une proportion non négligeable d'humanistes acceptent de fournir des
capitaux à une telle entreprise, il importe qu'ils soient assurés du bon
emploi de ceux-ci.
Vu l'importance de l'attachement à la sécurité dans la population humaine, il
peut même être souhaitable d'autoriser le remboursement des fonds apportés
par les volontaires réalisant au bout d'un certain temps que ce choix de vie ne
leur convient pas. Cela susciterait un effort particulier pour que le mode de
vie soit satisfaisant...
La conservation d'un lien avec l'économie "extérieure" nécessaire au début (ne serait-ce que pour acquérir des capitaux), implique une conversion possible entre argent extérieur et travail au sein de la communauté.
Il est souhaitable de proposer un mode de vie agréable sur les plans
relationnel et moral. Car sur le plan du confort matériel, il est difficile de
rivaliser avec la société "de consommation". Cela serait d'ailleurs
incohérent avec le respect de l'environnement :
même avec une meilleure gestion des ressources (recyclage, techniques
"écologiques"...) la consommation doit nécessairement être limitée...
Certes, une économie équitable sélectionne d'elle-même des personnes ne souhaitant
pas exploiter les autres... Certes, la qualité de la relation est favorisée par la
meilleure reliance de l'économie "éco-socialiste". Mais cela n'est
pas suffisant.
Sont souhaitables :
- un haut niveau de solidarité : la communauté s'efforce de satisfaire les
besoins fondamentaux de chacun de ses membres.
- un travail sur le plan du bien-être psychologique. En particulier par le
développement d'un humanisme cohérent et non-dogmatique. (voir "félicitisme"),
des rituels de rappel des objectifs communs.
- un travail sur la qualité de la communication (voir CNV).
- une vie communautaire favorisant le dialogue : l'expression et l'écoute
des besoins de chacun.
- une sélection des personnes sur la base de leur non-nuisance vis-à-vis des
autres (elles doivent partager l'objectif du projet, effectuer un
"stage" de vie commune).
- une prise de décision qui soit la plus satisfaisante possible pour le plus
grand nombre (voir "mode de prise de décision").
- juste ce qu'il faut de règles pour se rendre la vie plus agréable (et que
l'économie fonctionne!)
N'hésitez pas à me faire part de vos réactions, suggestions, interrogations, difficultés etc., ainsi que des fautes ou problèmes techniques que vous auriez rencontrés...
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